Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.
39
DE VILLERS-COTTERETS À LA FRONTIÈRE.

naviguant par une mer clémente, s’asseyait la nuit sur la poupe et considérait les astres. Nox fuit, et clemens mare, et anni æstas, cœlumque liquide serenum ; sedebamus ergo in puppi simul universi, et lucentia sidera considerabamus. Horace lui-même, ce philosophe pratique, ce Voltaire du siècle d’Auguste, plus grand poëte, il est vrai, que le Voltaire du siècle de Louis XV, Horace frissonnait en regardant les étoiles, une étrange anxiété lui remplissait le cœur, et il écrivait ces vers presque terribles :

Hune solem, et stellas, et decedentia certis
Tempora momentis, sunt qui formidine nulla
Imbuti spectant !

Quant à moi, je ne crains pas les astres, je les aime. Pourtant je n’ai jamais réfléchi sans un certain serrement de cœur que l’état normal du ciel, c’est la nuit. Ce que nous appelons le jour n’existe pour nous que parce que nous sommes près d’une étoile.

On ne peut toujours regarder l’immensité ; l’infini écrase ; l’extase est aussi religieuse que la prière, mais la prière soulage et l’extase fatigue. Des constellations mes yeux retombèrent sur le pauvre mur de paysan auquel j’étais adossé. Là encore il y avait des sujets de méditation et de pensée. Dans ce mur, le paysan qui l’avait bâti avait scellé une pierre, une vénérable pierre, sur laquelle la réverbération de la forge me permettait de reconnaître les traces presque entièrement effacées d’une inscription antique ; je ne distinguais plus que deux lettres intactes, I. C. ; le reste était fruste. Maintenant qu’était cette inscription ? romaine ou romane ? Elle parlait de Rome sans aucun doute, mais de quelle Rome ? de la Rome païenne ou de la Rome chrétienne ? de la ville de la force ou de la ville de la foi ? Je restai longtemps l’œil fixé sur cette pierre, l’esprit abîmé dans des hypothèses sans fond. Je ne sais si la contemplation des astres m’avait prédisposé à cette rêverie, mais j’en vins à ce point de voir en quelque sorte se ranimer et resplendir sous mon regard ces deux lettres mystérieuses — J. C. — qui, la première fois qu’elles apparurent aux hommes ont gouverné le monde, et la seconde fois, l’ont transformé. Jules César et Jésus-Christ !

C’est sans doute sous l’inspiration d’une idée pareille à celle qui m’absorbait en ce moment que Dante a mis ensemble dans la basse-fosse de l’enfer et fait dévorer à la fois par la gueule sanieuse de Satan le grand traître et le grand meurtrier, Judas et Brutus.

Trois villes se sont succédé à Soissons, la Noviodunum des gaulois, l’Augusta Sueßonium des romains, et le vieux Soissons de Clovis, de Charles le Simple et du duc de Mayenne. Il ne reste rien de cette Noviodunum qu’épouvanta la rapidité de César. Sueßones, disent les Commentaires, celeritate roma-