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RELIQUAT DU RHIN.

inédits, par exemple une ville, jadis illustre, aujourd’hui ignorée, Victoria ; il s’attardait même, s’il faut le dire, à plus d’une de ces trouvailles qui n’avaient avec le Rhin qu’un rapport assez éloigné. Il arriva ainsi au moyen âge, et, devant Charlemagne, vit et montra sous des aspects nouveaux cette grande figure…

Mais il s’aperçut alors que sa « Lettre » historique s’était singulièrement allongée, qu’elle formait déjà la bonne moitié d’un volume et que, s’il la continuait de Barberousse à nos jours, elle en aurait au moins deux. C’était bien de la besogne pour l’antiquaire, et le poète reprit la plume. L’Histoire intime du Rhin est restée ainsi inachevée.

Mais nous y avons puisé quatre épisodes du plus haut intérêt littéraire et historique : à savoir : Le Rhin géologique, — Victoria, — Alaric, — Charlemagne.


LE RHIN GÉOLOGIQUE.

Sur le Rhin comme partout ailleurs, l’histoire géologique est toujours entière, visible en toute chose, écrite sur toute chose, dans la montagne, dans le bois, dans le rocher, dans le charbon qui fait marcher le bateau à vapeur, dans le caillou qui roule sous les pieds du cheval. Ses monuments ne sont pas de ceux qui disparaissent. Ils s’écroulent sans cesse à la surface du sol, mais ils renaissent éternellement des entrailles de la terre. Les siècles ne font que développer la sombre et mystérieuse végétation des masses minérales. Aucune révolution de républiques ou d’empires ne peut empêcher l’hyalite et l’agate de germer dans les amygdaloïdes basaltiques de Francfort, le cinabre et le mercure de filtrer dans les porphyres de Landsberg et dans les vieilles formations de grès de la Nahe, ni les sources chaudes de jaillir, pour toutes les maladies de l’homme, des gangues de quartz du Taunus. Jusqu’au jour où le pôle magnétique du globe changera, le feldspath et l’argile rouge se mêleront aux inextricables racines de la forêt de Lemberg, l’argent, répandu en filons splendides dans les ténèbres de la terre, traversera le plomb à Werlau, le cuivre à Braubach, le cuivre et le plomb à Ehrenthal, l’alun pénétrera les immenses lignites de Godesberg ; le fer enrichira Bendorf. Les armées de toutes les nations de l’Europe, tambours et clairons en tête, épées au vent ; drapeaux déployés ; chevaux hennissants, peuvent aller et venir, forcer des villes, jeter des ponts, passer le Rhin devant Kehl comme Louis XIV en 1672, à Weissthurm comme Hoche en 1797, ou devant Caub comme Blücher le 1er janvier 1814, qu’importe à l’ardoise, à la chaux et au marbre sur lesquels s’appuient les coteaux depuis Wesel jusqu’à Hizenach ! Les légions, les régiments et les hordes fouleront sans les troubler les trachytes et les cristaux des Sept-Monts, les pierres ponces, le schiste argileux et la terre de strass de Neuwied. Pour ébranler les piliers de basalte d’Unkel sous l’épaisse couche de marne sablonneuse qui les recouvre, le pas d’une armée ne suffirait pas, il faudrait un tremblement de terre.

C’est un tremblement de terre en effet qu’il a fallu quand la Providence a voulu continuer le Rhin jusqu’à la mer. Avant les temps donnés à l’homme, à l’époque où l’énorme forêt Lescynienne n’avait encore été traversée que par le sentier monstrueux des mastodontes et des paléothériums, lorsque les volcans du Hohensuck agonisant, par je ne sais quelle loi inconnue, à l’approche de la civilisation