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RELIQUAT DU RHIN.

deux groupes exquis. La chaire, qui est du seizième siècle, est une espèce de gros buisson de marbre qui s’appuie, sans lui rien ôter de sa fière attitude, sur un grand chevalier armé de pied en cap.

Dans la place qui avoisine l’église, place entourée de pignons et de tourelles, se développe, au-dessus d’un vaste perron hérissé de statuettes d’anges et de statues de gendarmes, le frontispice d’une Maison de ville du quinzième siècle. Ce frontispice, peint et doré à neuf en ce moment, se compose presque entièrement de l’épanouissement d’une grosse horloge à trois étages, comme celle de la collégiale de Francfort. L’effet est rare et singulier. Le soleil, la lune et les étoiles vont et viennent avec un bruit mystérieux aux fenêtres de cette façade. Ajoutez à cela de vieilles tours à bossages sur le Neckar, un pont couvert avec ses trappes et ses charpentes, trois ou quatre autres belles églises gothiques dont on a fait des hangars, comme si Heilbronn était Paris ; une sombre halle à piliers du quatorzième siècle ornée de l’aigle éployée, qui est le blason de la ville ; deux ravissantes fontaines de la renaissance à colonne et à bassin, et force maisons du meilleur temps et du meilleur style à croisées-croix et à frontons volutés.

J’en ai remarqué une qui était ornée d’une architecture peinte dans le goût des fonds de Paul Véronèse, avec des musiciens empanachés jouant du cor et de la flûte derrière les balustres du premier étage. Toute cette devanture était d’un ensemble amusant et vif.

Tant de belles choses, cette belle nature et ce bel art, n’empêchent pas notre sotte et laide maçonnerie de plâtre et de carton-pierre de germer et de croître à Heilbronn, autour de la place même de l’hôtel de ville. Ces maisons blanches toutes neuves, à l’instar de Paris, paraissent ennuyer fort les gargouilles de l’église qui les regardent en bâillant.

Ludwigsburg, comme Mannheim, comme Philippsburg, comme Carlsrühe, est une de ces froides villes, commencées sous Louis XIV et finies sous Louis XV, qui sont à Versailles ce que Campistron est à Racine. Les arbres y sont beaux. L’architecture ennuyeuse a beau faire, elle ne peut empêcher les arbres d’être beaux.

Si Stuttgart n’avait pas cette beauté, il n’en aurait guère d’autres. La montagne, la vallée, la rivière et la forêt, voilà à peu près toute la parure de Stuttgart.

Le vieux palais des comtes de Wurtemberg, qui est d’une grande et noble masse, a été badigeonné en jaune, et converti, à ce qu’il m’a semblé, en hôpital. La cour du quinzième siècle, à arcades surbaissées, est encore charmante. Sur la porte de l’ancienne salle des gardes on lit : apotheke. Les matassins de Pourceaugnac ont remplacé les pertuisaniers des ducs de Wurtemberg et de Teck. Molière après Shakespeare. Pourquoi pas ?

L’église, qui avoisine la statue de Schiller, a d’assez beaux profils. Les deux clochers à faîtages coniques se composent bien avec l’abside. L’espèce de vieux bedeau, propre aux oratoires luthériens, m’en a ouvert la porte, et j’y suis entré.

C’est encore là un de ces intérieurs protestants qui font ressembler une église à une école. Partout des bancs, une table au milieu. Cela peut être raisonnable, mais