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CONCLUSION.

capitale, Prague ; ils étaient maîtres d’un royaume, la Bohême ; ils avaient un général homme de génie, Ziska ; ils avaient bravé un concile, celui de Bâle, en 1431, et huit diètes, celle de Brinn, celle de Vienne, celle de Presbourg, les deux de Francfort et les trois de Nuremberg ; ils avaient tenu eux-mêmes une diète à Czaslau, déposé solennellement un roi et créé une régence ; ils avaient affronté deux croisades suscitées contre eux par Martin V ; ils épouvantaient l’Europe à tel point, qu’on avait établi contre eux un conseil de guerre permanent à Nuremberg, une milice perpétuelle commandée par l’électeur de Brandebourg, une paix générale qui permettait à l’Allemagne de réunir toutes ses forces pour leur extermination, et un impôt universel, le denier commun, que le prince souverain payait comme le paysan. La terreur de leur approche avait fait transporter la couronne de Charlemagne et les joyaux de l’empire de Carlstein à Bude, et de Bude à Nuremberg. Ils avaient effroyablement dévasté, en présence de l’Allemagne armée et effarée, huit provinces, la Misnie, la Franconie, la Bavière, la Lusace, la Saxe, l’Autriche, le Brandebourg et la Prusse ; ils avaient battu les meilleurs capitaines de l’Europe, l’empereur Sigismond, le duc Coribut Jagellon, le cardinal Julien, l’électeur de Brandebourg et le légat du pape. Devant Prague, à Teutschbroda, à Saatz, à Aussig, à Riesenberg, devant Mies et devant Taus, ils avaient exterminé huit fois l’armée du saint-empire, et, dans ces huit armées, il y en avait une de cent mille hommes, commandée par l’empereur Sigismond, une de cent vingt mille hommes, commandée par le cardinal Julien, et une de deux cent mille hommes commandée par les électeurs de Trêves, de Saxe et de Brandebourg. Cette dernière seulement, dans l’état des forces militaires du quinzième siècle, représenterait aujourd’hui un armement de douze cent mille soldats. Et combien de temps dura cette guerre faite par une secte à l’Europe et au genre humain ? Seize ans. De 1420 à 1436. Sans nul doute, c’était là un sauvage et gigantesque ennemi. Eh bien, la civilisation du quinzième siècle, par cela même que c’était la barbarie et qu’elle était la civilisation, a été assez forte pour le saisir, l’étreindre et l’étouffer. Croit-on que la civilisation du dix-neuvième siècle doive trembler devant une douzaine de fainéants ivres qui épellent un libelle dans un cabaret ?

Quelques malheureux, mêlés à quelques misérables, voilà les hussites du dix-neuvième siècle. Contre une pareille secte, contre un pareil danger, deux choses suffisent, la lumière dans les esprits, un caporal et quatre hommes dans la rue. Rassurons-nous donc et rassurons le continent.

La Russie et l’Angleterre laissées dans l’exception, et nous avons assez dit pourquoi, on reconnaît en Europe, sans compter les petits états, deux sortes de monarchies, les anciennes et les nouvelles. Sauf les restrictions de détail, les anciennes déclinent, les nouvelles grandissent. Les anciennes sont : l’Espagne, le Portugal, la Suède, le Danemark, Rome, Naples et la Turquie. À la tête de ces vieilles monarchies est l’Autriche, grande puissance allemande. Les nouvelles sont : la Belgique, la Hollande, la Saxe, la Bavière, le Wurtemberg, la Sardaigne et la Grèce. À la tête de ces jeunes royaumes est la Prusse, autre grande puissance allemande. Une seule monarchie dans ce groupe d’états de tout âge jouit d’un magnifique privilège, elle est tout à la fois vieille et jeune, elle a autant de passé que l’Autriche et autant d’avenir que la Prusse ; c’est la France.