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LE RHIN.

comprenaient une foule de principautés ecclésiastiques ; tous ont cessé d’exister ; à leur tête se sont éclipsés pour jamais les trois grands électorats archiépiscopaux du Rhin.

Si nous passons aux états populaires, nous trouvons ceci : il y avait en Allemagne soixante-dix villes libres ; il n’y en a plus que quatre, Francfort-sur-le-Mein, Hambourg, Lubeck et Brême.

Et qu’on le remarque bien, pour faire ce rapprochement nous ne nous sommes pas mis dans les conditions les plus favorables à ce que nous voulions démontrer ; car, si au lieu de 1630 nous avions choisi 1650, par exemple, nous aurions pu retrancher aux états monarchiques et ajouter aux états démocratiques du dix-septième siècle la république anglaise, qui a disparu aujourd’hui comme les autres.

Poursuivons.

Des cinq monarchies électives, deux étaient de premier rang, Rome et l’Empire. La seule qui reste maintenant, Rome, est tombée au troisième rang.

Des huit républiques, une, Venise, était une puissance de second rang. La seule qui subsiste de nos jours, la Suisse, est, comme Rome, un état de troisième ordre.

Les cinq grandes puissances actuellement dirigeantes, la France, la Prusse, l’Autriche, la Russie et l’Angleterre, sont toutes des monarchies héréditaires.

Ainsi, d’après cette confrontation surprenante, qui a gagné du terrain ? la monarchie. Qui en a perdu ? la démocratie.

Voilà les faits.

Eh bien, les faits se trompent. Les faits ne sont que des apparences. Le sentiment profond et unanime des nations dément les faits et dit que c’est le contraire qui est vrai. La monarchie a reculé, la démocratie a avancé.

Pour que le côté libéral de la constitution de la vieille Europe non seulement n’ait rien perdu, mais encore ait prodigieusement gagné, malgré la multiplication et l’accroissement des royautés, malgré la chute de tous les états viagers, et, en quelque sorte, présidentiels de l’Allemagne, malgré la disparition de quatre grandes monarchies électives sur cinq, de sept républiques sur huit, et de soixante-six villes libres sur soixante-dix, il suffit d’un fait : la France a passé de l’état de monarchie pure à l’état de monarchie populaire.

Ce n’est qu’un pas, mais ce pas est fait par la France ; et, dans un temps donné, tous les pas que fait la France, le monde les fera. Ceci est tellement vrai, que, lorsqu’elle se hâte, le monde se révolte contre elle, et la prend à partie, trouvant plus facile encore de la combattre que de la suivre. Aussi la politique de la France doit-elle être une politique conductrice et toujours se résumer en deux mots : ne jamais marcher assez lentement pour arrêter l’Europe, ne jamais marcher assez vite pour empêcher l’Europe de rejoindre.

Le tableau que nous venons de dresser dans les quelques pages qui précèdent prouve encore, et prouve souverainement, ceci : c’est que les mots ne sont rien, c’est que les idées sont tout. À quoi bon batailler en effet pour ou contre le mot république, par exemple, lorsqu’il est démontré que sept républiques, quatre états électifs et soixante-six villes franches tiennent moins de place dans la civilisation européenne qu’une idée de liberté semée par la France à tous les vents ?