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CONCLUSION.


XV


L’obstacle moral, c’est l’inquiétude que la France éveille en Europe.

La France en effet, pour le monde entier, c’est la pensée, c’est l’intelligence, la publicité, le livre, la presse, la tribune, la parole ; c’est la langue, la pire des choses, dit Ésope : — la meilleure aussi.

Pour apprécier quelle est l’influence de la France dans l’atmosphère continentale et quelle lumière et quelle chaleur elle y répand, il suffit de comparer à l’Europe d’il y a deux cents ans, dont nous avons crayonné le tableau en commençant, l’Europe d’aujourd’hui.

S’il est vrai que le progrès des sociétés soit, et nous le croyons fermement, de marcher par des transformations lentes, successives et pacifiques, du gouvernement d’un seul au gouvernement de plusieurs et du gouvernement de plusieurs au gouvernement de tous ; si cela est vrai, au premier aspect il semble évident que l’Europe, loin d’avancer, comme les bons esprits le pensent, a rétrogradé.

En effet, sans même pour l’instant faire figurer dans ce calcul les monarchies secondaires de la confédération germanique, et en ne tenant compte que des états absolument indépendants, on se souvient qu’au dix-septième siècle il n’y avait en Europe que douze monarchies héréditaires ; il y en a dix-sept maintenant.

Il y avait cinq monarchies électives ; il n’y en a plus qu’une, le Saint-Siège.

Il y avait huit républiques ; il n’y en a plus qu’une, la Suisse.

La Suisse, il faut d’ailleurs l’ajouter, n’a pas seulement survécu, elle s’est agrandie. De treize cantons elle est montée à vingt-deux. Disons-le en passant, — car, si nous insistons sur les causes morales, nous ne voulons pas omettre les causes physiques, — toutes les républiques qui ont disparu étaient dans la plaine ou sur la mer ; la seule qui soit restée était dans la montagne. Les montagnes conservent les républiques. Depuis cinq siècles, en dépit des assauts et des ligues, il y a trois républiques montagnardes dans l’ancien continent : une en Europe, la Suisse, qui tient les Alpes ; une en Afrique, l’Abyssinie[1], qui tient les montagnes de la Lune ; une en Asie, la Circassie, qui tient le Caucase.

Si, après l’Europe, nous examinons la confédération germanique, ce microcosme de l’Europe, voici ce qui apparaît : à part la Prusse et l’Autriche, qui comptent parmi les grandes monarchies indépendantes, les six principaux états de la confédération germanique sont : la Bavière, le Wurtemberg, la Saxe, le Hanovre, la Hesse et Bade. De ces six états, les quatre premiers étaient des duchés, ce sont aujourd’hui des royaumes ; les deux derniers étaient, la Hesse un landgraviat et Bade un margraviat, ce sont aujourd’hui des grands-duchés.

Quant aux états électifs et viagers du corps germanique, ils étaient nombreux et

  1. Les abyssins repoussent comme injurieux le nom d’abyßins. Ils s’appellent agaßiens, ce qui signifie libres.