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LE RHIN.

ne tombe pas, dit la vieille loi espagnole ; the king can do no wrong, le roi ne peut faillir, dit la vieille loi anglaise. Quoi de plus frappant, quand on creuse l’histoire, que de trouver, sous les faits en apparence les plus divers, le monarchisme pur et le constitutionnalisme rigoureux assis sur la même base et sortant de la même racine ?

Le roi d’Espagne pouvait être, sans inconvénient, de même que le roi d’Angleterre, un enfant, un mineur, un ignorant, un idiot. Le parlement gouvernait pour l’un ; le despacho universal gouvernait pour l’autre. Le jour où la nouvelle de la prise de Mons parvint à Madrid, Philippe IV se réjouit très fort en plaignant tout haut ce pauvre roi de France, ese pobrecito rey de Francia. Personne n’osa lui dire que c’était à lui, roi d’Espagne, que Mons appartenait. Spinola, investissant Breda, que les hollandais défendaient admirablement, écrivit dans une longue lettre à Philippe III le détail des innombrables impossibilités du siège ; Philippe III lui renvoya sa lettre après avoir seulement écrit en marge de sa main : Marquis, prends Breda. Pour écrire un pareil mot, il n’y a que la stupidité ou le génie, il faut tout ignorer ou tout vouloir, être Philippe III ou Bonaparte. Voilà à quelle nullité pouvait tomber le roi d’Espagne, isolé qu’il était de toute pensée et de toute action par la forme même de son autorité. La grande charte isole le roi d’Angleterre à peu près de la même façon. L’Espagne a lutté contre Louis XIV avec un roi imbécile ; l’Angleterre a lutté contre Napoléon avec un roi fou.

Ceci ne prouve-t-il point que dans les deux cas le roi est purement nominal ? — Est-ce un bien ? est-ce un mal ? C’est là encore un fait que nous constatons sans le juger.

Rien n’est moins libre qu’un roi d’Angleterre, si ce n’est un roi d’Espagne. À tous les deux on dit : Vous pouvez tout, à la condition de ne rien vouloir. Le parlement lie le premier, l’étiquette lie le second ; et, ce sont là les ironies de l’histoire, ces deux entraves si différentes produisent dans de certains cas les mêmes effets. Quelquefois le parlement se révolte et tue le roi d’Angleterre ; quelquefois l’étiquette se révolte et tue le roi d’Espagne. Parallélisme bizarre, mais incontestable, dans lequel l’échafaud de Charles Ier a pour pendant le brasier de Philippe III.

Un des résultats les plus considérables de cette annulation de l’autorité royale par des causes pourtant presque opposées, c’est que la loi salique devient inutile. En Espagne comme en Angleterre, les femmes peuvent régner.

Entre les deux peuples il existe encore plus d’un rapport qu’enseigne une comparaison attentive. En Angleterre comme en Espagne, le fond du caractère national est fait d’orgueil et de patience. C’est là, à tout prendre, et sauf les restrictions que nous indiquerons ailleurs, un admirable tempérament et qui pousse les peuples aux grandes choses. L’orgueil est vertu pour une nation ; la patience est vertu pour l’individu.

Avec l’orgueil on domine ; avec la patience on colonise. Or, que trouvez-vous au fond de l’histoire d’Espagne comme au fond de l’histoire de la Grande-Bretagne ? Dominer et coloniser.

Tout à l’heure nous tracions, l’œil fixé sur l’histoire, le tableau de l’infanterie castillane. Qu’on le relise. C’est aussi le portrait de l’infanterie anglaise.