Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/439

Cette page a été validée par deux contributeurs.
419
CONCLUSION.

les trois trésoriers, les six capitaines de nuit, les trois chanceliers et les comtes du dehors ; et, son règne fini, il recevait pour sa peine cinq ducats. Les sept Provinces-Unies s’administraient par un stathouder qui s’appelait Orange ou Nassau, quelquefois par deux, et par leurs états généraux, où siégeaient les nobles, les bonnes villes, les paysans des Ommelandes, et d’où la Hollande et la Frise excluaient le clergé ; Utrecht l’admettait. Lucques, que gouvernaient les dix-huit citoyens du conseil du colloque, les cent soixante du grand conseil, et le commandeur de la seigneurie assisté des trois tierciers de Saint-Sauveur, de Saint-Paulin et de Saint-Martin, avait pour chef culminant un gonfalonier élu par les assorteurs. Les vingt-cinq mille habitants formaient une sorte de garde nationale qui défendait et pacifiait la ville ; cent soldats étrangers gardaient la seigneurie. Vingt-cinq sénateurs, c’était tout le gouvernement de Genève. La diète générale assemblée à Berne, c’était l’autorité suprême où ressortissaient les treize cantons, régis chacun séparément par leur landamman ou leur avoyer.

Ces républiques, on le voit, étaient diverses. Le peuple n’existait pas à Malte, ne comptait pas à Venise, se faisait jour à Gênes, parlait en Hollande et régnait en Suisse. Ces deux dernières républiques, la Suisse et la Hollande, étaient des fédérations.

Ainsi, dès le commencement du dix-septième siècle, dans les vingt-cinq états du groupe européen, la puissance sociale descendait déjà de nuance en nuance du sommet des nations à leur base, et avait pris et pratiqué toutes les formes que la théorie peut lui donner. Pleinement monarchique dans dix états, elle était monarchique, mais limitée, dans sept, aristocratique dans quatre, bourgeoise dans trois, pleinement populaire dans un.

Dans ce groupe construit par la providence, la transition des états monarchiques aux états populaires était visible. C’était la Pologne, sorte d’état mi-parti, qui tenait à la fois aux royaumes par la couronne de son chef et aux républiques par les prérogatives de ses citoyens.

Il est remarquable que dans cet arrangement de tout un monde, par je ne sais quelles lois d’équilibre mystérieux, les monarchies puissantes protégeaient les républiques faibles, et conservaient pour ainsi dire curieusement ces échantillons de la bourgeoisie d’alors, ébauches de la démocratie future, larves informes de la liberté. Partout la providence a soin des germes. Le grand-duc de Toscane, voisin de Gênes, eût bien voulu lui prendre la Corse, et, comme Lucques était chez lui, il avait cette chétive république sous la main ; mais le roi d’Espagne lui défendait de toucher à Gênes, et l’empereur d’Allemagne lui défendait de toucher à Lucques. Raguse était située entre deux formidables voisins, Venise à l’occident, Constantinople à l’orient. Les ragusains, inquiets à droite et à gauche, eurent l’idée d’offrir au Grand-Seigneur quatorze mille sequins par an ; le Grand-Seigneur accepta, et, à dater de ce jour, il protégea les franchises des ragusains. Une ville achetant de la liberté au sultan, c’est déjà un fait étrange ; les résultats en étaient plus étranges encore. De temps en temps Venise rugissait vers Raguse, le sultan mettait le holà ; la grosse république voulait dévorer la petite, un despote l’en empêchait.

Spectacle singulier ! un louveteau menacé par une louve et défendu par un tigre.

Le Saint-Empire, cœur de l’Europe, se composait comme l’Europe, qui semblait