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LETTRE XXXIII.
Bâle.


La Plume et le Canif, élégie. — Frick. — Bâle. — La cathédrale. — Indignation du voyageur. — Le badigeonnage. — Les flèches. — La façade. — Les deux seuls saints qui aient des chevaux. — Le portail de gauche. — La rosace. — Le portail de droite. — Le cloître. — Regret amer au cloître de Saint-Wandrille. — Luxe des tombeaux. — Intérieur de l’église. — Les stalles. — La chaire. — La crypte. — Peur qu’on y a. — Les archives. — Le haut des clochers. — Bâle à vol d’oiseau. — Promenade dans la ville. — Ce que l’architecture locale a de particulier. — La maison des armuriers. — L’hôtel de ville. — Munatius Plancus. — L’auteur rencontre avec plaisir le valet de trèfle à la porte d’une auberge. — L’archéologie serait perdue si les servantes ne venaient pas au secours des antiquaires. — La bibliothèque. — Holbein partout. — La table de la Diète. — Soins admirables et exemplaires des bibliothécaires de Bâle pour un tableau de Rubens. — Remarque importante et dernière sur la bibliothèque. — Fin de l’élégie de la Plume et du Canif.


Frick, 8 septembre.

Cher ami, j’ai une affreuse plume, et j’attends un canif pour la tailler. Cela ne m’empêche pas de vous écrire, comme vous voyez. L’endroit où je suis s’appelle Frick, et ne m’a rien offert de remarquable qu’un assez joli paysage et un excellent déjeuner que je viens de dévorer. J’avais grand’faim. — Ah ! on m’apporte un canif et de l’encre. J’avais commencé cette lettre avec ma carafe pour écritoire. Puisque j’ai de bonne encre, je vais vous parler de Bâle, comme je vous l’ai promis.

Au premier abord, la cathédrale de Bâle choque et indigne. Premièrement, elle n’a plus de vitraux ; deuxièmement, elle est badigeonnée en gros rouge, non seulement à l’intérieur, ce qui est de droit, mais à l’extérieur, ce qui est infâme ; et cela, depuis le pavé de la place jusqu’à la pointe des clochers ; si bien que les deux flèches, que l’architecte du quinzième siècle avait faites charmantes, ont l’air maintenant de deux carottes sculptées à jour. — Pourtant, la première colère passée, on regarde l’église, et l’on s’y plaît ; elle a de beaux restes. Le toit, en tuiles de couleur, a son originalité et sa grâce (la charpente intérieure est de peu d’intérêt). Les flèches, flanquées d’escaliers-lanternes, sont jolies. Sur la façade principale il y a quatre curieuses statues de femmes ; deux femmes saintes qui rêvent et qui lisent ; deux femmes folles, à peine vêtues, montrant leurs belles épaules de Suissesses fermes et grasses, se raillant et s’injuriant avec de grands éclats de rire