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LE RHIN.

À propos, j’ai fait tout ce voyage accosté d’un brave notaire de province qui a son officine dans je ne sais plus quelle petite ville du midi, et qui va passer ses vacances à Bade, parce que, dit-il, tout le monde va à Bade. Aucune conversation possible, bien entendu. Ce digne tabellion sent le papier timbré comme le lapin de clapier sent le chou.

Du reste, comme le voyage rend causeur, j’ai essayé de l’entamer de cent façons pour voir si je le trouverais mangeable, comme parle Diderot. Je l’ai ébréché de tous les côtés, mais je n’ai rien pu casser qui ne fût stupide. Il y a beaucoup de gens comme cela. J’étais comme ces enfants qui veulent à toute force mordre dans un faux bonbon ; ils cherchent du sucre, ils trouvent du plâtre.

La ville de Bar est dominée par un immense coteau vignoble qui est tout vert en août, et qui, au moment où j’y passais, s’appuyait sur un ciel tout bleu. Rien de cru dans ce bleu et dans ce vert, qu’enveloppait chaudement un rayon de soleil. Aux environs de Bar-le-Duc la mode est que les maisons de quelque prétention aient, au lieu de porte bâtarde, un petit porche en pierre de taille, à plafond carré, élevé sur perron. C’est assez joli. Vous savez que j’aime à noter les originalités des architectures locales, je vous ai dit cela cent fois, quand l’architecture est naturelle et non frelatée par les architectes. Le climat s’écrit dans l’architecture. Pointu, un toit prouve la pluie ; plat, le soleil ; chargé de pierres, le vent.

Du reste, je n’ai rien remarqué à Bar-le-Duc, si ce n’est que le courrier de la malle y a commandé quatre cents pots de confitures pour sa vente de l’année, et qu’au moment où je sortais de la ville il y entrait un vieux cheval éclopé, qui s’en allait sans doute chez l’équarrisseur. Vous souvient-il de ce fameux saval de notre douce enfant, de notre chère petite D., lequel est resté si longtemps exposé à tous les ouragans et fondant sous toutes les pluies dans un coin du balcon de la place Royale, avec un nez en papier gris, ni oreilles ni queue, et plus rien que trois roulettes ? C’est mon pauvre cheval de Bar-le-Duc.

De Vitry à Saint-Dizier, le paysage est médiocre. Ce sont de grosses croupes à blé, tondues, rousses, d’un aspect maussade en cette saison. Plus de laboureurs, plus de moissonneurs, plus de glaneuses marchant pieds nus, tête baissée, avec une maigre gerbe sous le bras. Tout est désert. De temps en temps un chasseur et un chien d’arrêt, immobiles au haut d’une colline, se dessinent en silhouette sur le clair du ciel.

On ne voit pas les villages ; ils sont blottis entre les collines, dans de petites vallées vertes au fond desquelles coule presque toujours un petit ruisseau. Par instants on aperçoit le bout d’un clocher.

Une fois, ce bout de clocher m’a présenté un aspect singulier. La colline