comme votre ami Benvenuto Cellini, j’écris sur des feuilles, qui s’en iront je ne sais où, mes aventures de la journée.
Mes aventures et mes travaux, à moi, laborieux fainéant que vous connaissez bien, cher Louis, vous les savez par cœur, vous les avez assez longtemps partagés ; c’est une promenade solitaire dans un sentier perdu, la contemplation d’un rayon de soleil sur la mousse, la visite d’une cathédrale ou d’une église de village, un vieux livre feuilleté à l’ombre d’un vieux arbre, un petit paysan que je questionne, un beau scarabée enterreur cuirassé d’or violet, qui est tombé par malheur sur le dos, qui se débat, et que je retourne en passant avec le bout de mon pied ; des vers quelconques mêlés à tout cela ; et puis des rêveries de plusieurs heures devant la Roche-More sur le Rhône, le Château-Gaillard sur la Seine, le Rolandseck sur le Rhin, devant une ruine sur un fleuve, devant ce qui tombe sur ce qui passe, ou, spectacle à mon sens non moins touchant, devant ce qui fleurit sur ce qui chante, devant un myosotis penchant sa grappe bleue sur un ruisseau d’eau vive.
Voilà ce que je fais, ou, pour mieux dire, voilà ce que je suis ; car, pour moi, faire dérive fatalement et immédiatement d’être. Comme on est, on fait.
Ici, à Heidelberg, dans cette ville, dans cette vallée, dans ces décombres, la vie d’homme pensif est charmante. Je sens que je ne m’en irais pas de ce pays si vous y étiez, cher Louis, si j’y avais tous les miens, et si l’été y durait un peu plus longtemps.
Le matin, je m’en vais, et d’abord (pardonnez-moi une expression effrontément risquée, mais qui rend ma pensée), je passe, pour faire déjeuner mon esprit, devant la maison du Chevalier de Saint-Georges. C’est vraiment un ravissant édifice. Figurez-vous trois étages à croisées étroites supportant un fronton triangulaire à grosses volutes bouclées à jour ; tout au travers de ces trois étages deux tourelles-espions à faîtages fantasques, faisant saillie sur la