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FRANCFORT-SUR-LE-MEIN.

fantômes qui, pendant neuf siècles, de 911 à 1806, ont traversé l’histoire du monde, l’épée de Saint-Pierre dans une main et le globe de Charlemagne dans l’autre.

À l’extrémité opposée aux cinq fenêtres, près de la voûte, noircit et s’écaille une peinture médiocre qui représente le jugement de Salomon.

Quand les électeurs avaient enfin désigné l’empereur, le sénat de Francfort se réunissait dans cette salle ; les bourgeois, divisés en quatorze sections, selon les quatorze quartiers de la ville, se rassemblaient au dehors dans la place. Alors les cinq fenêtres du Kaisersaal s’ouvraient, faisant face au peuple. La grande fenêtre, celle du milieu, était surmontée d’un dais et restait vide. À la moyenne fenêtre de droite, ornée d’un balcon de fer noir où j’ai remarqué la roue de Mayence, l’empereur apparaissait, seul, en grand costume, la couronne en tête. À sa droite il avait, réunis dans la petite fenêtre, les trois électeurs-archevêques de Mayence, de Trèves et de Cologne. Aux deux autres fenêtres, à gauche de la grande fenêtre vide, se tenaient, dans la moyenne, Bohême, Bavière et le palatin du Rhin ; dans la petite, Saxe, Brunswick et Brandebourg. Dans la place, devant la façade du Rœmer, au milieu d’un vaste carré vide entouré de gardes, il y avait un grand monceau d’avoine, une urne pleine de monnaie d’or et d’argent, une table portant un lavoir d’argent et un bocal de vermeil, et une autre table chargée d’un bœuf rôti tout entier. Au moment où paraissait l’empereur, les trompettes et les cymbales éclataient, et l’archimaréchal du saint empire, l’archichancelier, l’archiéchanson, l’architrésorier et l’architranchant entraient en cortège dans la place. Au milieu des acclamations et des fanfares, l’archimaréchal, à cheval, montait dans le tas d’avoine jusqu’à la sangle de la selle et y remplissait une mesure d’argent ; l’archichancelier prenait le lavoir sur la table ; l’archiéchanson remplissait de vin et d’eau le bocal de vermeil ; l’architrésorier puisait des monnaies dans l’urne et les jetait au peuple à pleines mains ; l’architranchant coupait un morceau du bœuf rôti. En ce moment-là surgissait le grand référendaire de l’empire, qui proclamait à haute voix le nouveau césar et lisait la formule du serment. Quand il avait fini, le sénat dans la salle et les bourgeois dans la place répondaient gravement : Oui. Pendant la prestation du serment, le nouvel empereur, déjà formidable, ôtait la couronne et tenait le glaive.

De 1564 à 1794, cette place aujourd’hui ignorée, cette salle aujourd’hui déserte, ont vu neuf fois cette cérémonie majestueuse.

Les grandes charges de l’empire, étant héréditairement acquises aux électeurs, étaient remplies par des délégués. Au moyen âge, les monarchies secondaires tenaient à insigne honneur et à bonne politique d’occuper les grands offices des deux empires qui avaient remplacé l’empire romain.