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FRANCFORT-SUR-LE-MEIN.

graves fenêtres de hauteur inégale, les trois pignons juxtaposés du Rœmer.

C’est dans le Rœmer qu’on élisait les empereurs, c’est dans cette place qu’on les proclamait.

C’est aussi dans cette place que se tenaient et que se tiennent encore les deux fameuses foires de Francfort, la foire de septembre, instituée en 1240 par lettre de haut-conduit de Frédéric II, et la foire de Pâques, établie en 1330 par Louis de Bavière. Les foires ont survécu aux empereurs et à l’empire.

Je suis entré dans le Rœmer.

Après avoir erré, sans rencontrer personne, dans une grande salle basse et torte, voûtée en ogive et encombrée des baraques de la foire, puis dans un large escalier à rampe Louis XIII, tapissé de mauvais tableaux sans cadres, puis dans une foule de corridors et de degrés obscurs, à force de frapper à toutes les portes, j’ai fini par trouver une servante qui, sur ce mot : Kaisersaal, a pris une clef à un clou dans sa cuisine et m’a conduit à la salle des empereurs.

La brave fille, souriante, m’a fait passer d’abord par la salle des électeurs, qui sert aujourd’hui, je crois, aux séances du haut sénat de la ville de Francfort. C’est là que les électeurs ou leurs délégués déclaraient entre eux l’empereur roi des romains. Sur un fauteuil entre les deux fenêtres, l’archevêque de Mayence présidait. Puis venaient par ordre, assis autour d’une immense table couverte en cuir fauve, chacun au-dessous de son blason peint au plafond, à la droite de l’archevêque de Mayence, Trèves, Bohême et Saxe ; à sa gauche, Cologne, le Palatinat, Brandebourg ; en face de lui, Brunswick et Bavière. Le passant éprouve l’impression que produisent les choses simples qui contiennent de grandes choses lorsqu’il voit et qu’il touche le cuir roux et poudreux de cette table où l’on faisait l’empereur d’Allemagne. Du reste, à part la table, qu’on a transportée dans une salle voisine, la salle des électeurs est aujourd’hui dans l’état où elle était au dix-septième siècle. Les neuf blasons au plafond encadrant une mauvaise fresque, une tenture de damas rouge, des appliques-candélabres en cuivre argenté figurant des renommées, une grande glace à baguettes contournées, en face de laquelle on a mis pour pendant, au siècle dernier, un portrait en pied de Joseph II ; au-dessus de la porte, un trumeau, un portrait de ce dernier des petits-fils de Charlemagne, qui mourut en 910, au moment de régner, et que les allemands appellent l’Enfant. Rien de plus. — L’ensemble est austère, sérieux, tranquille, et fait plus songer que regarder.

Après la salle des électeurs, j’ai vu la salle des empereurs.

Au quatorzième siècle, les marchands lombards qui ont laissé leur nom au Rœmer, et qui y tenaient boutique, eurent idée de faire entourer la