Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., En voyage, tome I.djvu/262

Cette page a été validée par deux contributeurs.
242
LE RHIN.

comme je l’ai déjà dit ailleurs, la grande rosace de nos cathédrales entre ses deux ogives.

Les deux absides dont la réunion compose la cathédrale de Mayence sont de deux époques différentes, et, quoique presque identiques en dessin géométral, aux dimensions près, présentent, comme édifice, un contraste complet et frappant. La première et la moins grande date du dixième siècle. Commencée en 978, elle a été terminée en 1009. La seconde, dont le gros clocher a deux cents pieds de haut, a été commencée peu après, mais elle a été incendiée en 1190, et depuis lors chaque siècle y a mis sa pierre. Il y a cent ans, le goût régnant a envahi le dôme ; toute la flore de l’architecture Pompadour a mêlé ses jets de pierre, ses falbalas et ses ramages aux dentelures byzantines, aux losanges lombards et aux pleins cintres saxons, et aujourd’hui cette végétation bizarre et grimaçante couvre la vieille abside. Le gros clocher, cône large, trapu, ample à sa base, superbement chargé de trois riches diadèmes fleuronnés, dont les diamètres décroissent de sa base à son sommet, taillé partout à roses et à facettes, semble plutôt bâti avec des pierreries qu’avec des pierres. Sur l’autre grosse tour, grave, simple, byzantine et gothique, qui lui fait face, des maçons modernes ont érigé, probablement par économie, une coupole également pointue, appuyée à sa base sur un cercle de pignons aigus ressemblant à la couronne de fer des rois lombards, coupole en zinc, parfaitement nue, sans dorure et sans ornement, d’un profil légèrement renflé, qui rappelle l’ancienne coiffure pontificale des temps primitifs. On dirait la sévère tiare de Grégoire VII regardant la tiare splendide de Boniface VIII. Haute pensée, posée, construite et sculptée là par le temps et le hasard, ces deux grands architectes.

Tout ce vénérable ensemble est badigeonné en rose ; tout, du haut en bas, les deux absides, la grande nef et les six clochers. La chose est faite avec recherche et goût. On a décerné le rose pâle au clocher byzantin, et le rose vif au clocher Pompadour.

Comme la chapelle d’Aix, la cathédrale de Mayence a ses portes de bronze ornées de têtes de lions ; celles d’Aix-la-Chapelle sont romaines. Quand j’ai visité Aix et que j’ai vu ces portes, j’y ai, vous vous en souvenez, vainement cherché la fêlure qu’y fit, dit-on, et qu’y dut faire en effet le coup de pied du diable lorsqu’il s’en alla furieux d’avoir avalé l’âme d’un loup au lieu de l’âme d’un bourgeois ayant pignon sur rue. Aucune histoire de ce genre ne recommande les portes du dôme de Mayence. Elles sont du onzième siècle, et ont été données par l’archevêque Willigis à l’église, aujourd’hui démolie, de Notre-Dame, où on les a prises pour les enclaver dans un majestueux portail roman de la cathédrale. Sur les deux battants d’en haut sont écrits en caractères romains les privilèges accordés à la ville en 1135 par l’arche-