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LE RHIN.

houx et vit fleurir et verdoyer de toutes parts dans l’herbe le perce-pierre, l’angélique, l’ellébore et la grande gentiane. Comme il se baissait pour s’en assurer, une coquille de moule tombée sur le gazon frappa son regard. Il la ramassa. C’était une de ces moules de la Vologne qui contiennent des perles grosses comme des pois. Il leva les yeux ; un grand-duc planait au-dessus de sa tête.

Pécopin commençait à s’inquiéter. On conviendra qu’il y avait de quoi. Ces houx et ces framboisiers, ces tadornes, ces herbes magiques, cette moule, ce grand-duc, tout cela était peu rassurant. Il était donc fort alarmé, et se demandait avec angoisse où il était, lorsqu’un chant éloigné parvint jusqu’à lui. Il prêta l’oreille. C’était une voix enrouée, cassée, chagrine, fâcheuse, sourde et criarde à la fois, et voici ce qu’elle chantait :


Mon petit lac engendre, en l’ombre qui l’abrite,
La riante Amphitrite et le noir Neptunus ;
Mon humble étang nourrit, sur des monts inconnus,
L’empereur Neptunus et la reine Amphitrite.

        Je suis le nain, grand-père des géants.
        Ma goutte d’eau produit deux océans.

Je verse de mes rocs, que n’effleure aucune aile,
Un fleuve bleu pour elle, un fleuve vert pour lui.
J’épanche de ma grotte, où jamais feu n’a lui,
Le fleuve vert pour lui, le fleuve bleu pour elle.

        Je suis le nain, grand-père des géants.
        Ma goutte d’eau produit deux océans.

Une fine émeraude est dans mon sable jaune ;
Un pur saphir se cache en mon humide écrin.
Mon émeraude fond et devient le beau Rhin ;
Mon saphir se dissout, ruisselle et fait le Rhône.

        Je suis le nain, grand-père des géants.
        Ma goutte d’eau produit deux océans.


Pécopin n’en pouvait plus douter. Pauvre voyageur fatigué, il était dans le fatal bois des pas perdus. Ce bois est une grande forêt pleine de labyrinthes, d’énigmes et de dédales, où se promène le nain Roulon. Le nain Roulon habite un lac dans les Vosges, au sommet d’une montagne ; et parce que de ce lac il envoie un ruisseau au Rhône et un autre ruisseau au Rhin, ce nain fanfaron se dit le père de la Méditerranée et de l’Océan. Son plaisir est d’errer