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LÉGENDE DU BEAU PÉCOPIN.

mer, et qui se trouvèrent tous dans le filet des apôtres quand ils pêchèrent par ordre du Seigneur. En Scythie, il perça à coups de flèches un griffon auquel les peuples arimaspes faisaient la guerre pour avoir l’or que cette bête gardait. Ces peuples voulurent le faire roi, mais il se sauva. Enfin il manqua naufrager en mainte rencontre, et notamment près du cap Guardafui, que les anciens appelaient Promontorium aromatorum ; et, à travers tant d’aventures, tant d’erreurs, de fatigues, de prouesses, de travaux et de misères, le brave et fidèle chevalier Pécopin n’avait qu’un but, retrouver l’Allemagne ; qu’une espérance, rentrer au Falkenburg ; qu’une pensée, revoir Bauldour.

Grâce au talisman de la sultane, qu’il portait toujours sur lui, il ne pouvait, on s’en souvient, ni vieillir, ni mourir.

Il comptait pourtant tristement les années. À l’époque où il parvint enfin à atteindre le nord du pays de France, cinq ans s’étaient écoulés depuis qu’il n’avait vu Bauldour. Quelquefois il songeait à cela le soir, après avoir cheminé depuis l’aube ; il s’asseyait sur une pierre au bord de la route, et il pleurait.

Puis il se ranimait et reprenait courage. — Cinq ans, pensait-il, oui, mais je vais la revoir enfin. Elle avait quinze ans, eh bien, elle en aura vingt ! — Ses vêtements étaient en lambeaux, sa chaussure était déchirée, ses pieds étaient en sang, mais la force et la joie lui étaient revenues, et il se remettait en marche.

C’est ainsi qu’il parvint jusqu’aux montagnes des Vosges.


IX

où l’on voit à quoi peut s’amuser un nain
dans une forêt.

Un soir, après avoir fait route toute la journée dans les rochers, cherchant un passage pour descendre vers le Rhin, il arriva à l’entrée d’un bois de sapins, de frênes et d’érables. Il n’hésita pas à y pénétrer. Il y marchait depuis plus d’une heure quand tout à coup le sentier qu’il suivait se perdit dans une clairière semée de houx, de genévriers et de framboisiers sauvages. À côté de la clairière il y avait un marais. Épuisé de lassitude, mourant de faim et de soif, exténué, il regardait de côté et d’autre, cherchant une chaumière, une charbonnerie ou un feu de pâtre, quand tout à coup une troupe de tadornes passa près de lui en agitant ses ailes et en criant. Pécopin tressaillit en reconnaissant ces étranges oiseaux, qui font leurs nids sous terre et que les paysans des Vosges appellent canards-lapins. Il écarta les touffes de