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LE RHIN.

barquette et barqueroute. Il se risqua sur les caracores de bois des indiens de Bantan et sur les chaloupes de cuir de l’Euphrate dont a parlé Hérodote. Il fut battu de tous les vents, du levante-siroco et du siroco-mezzogiorno, de la tramontane et de la galerne. Il traversa la Perse, le Pégu, Bramaz, Tagatai, Transiane, Sagistan, l’Hasubi. Il vit le Monomotapa comme Vincent le Blanc, Sofala comme Pedro Ordoñez, Ormus comme le sieur de Fines, les sauvages comme Acosta, et les géants comme Malherbe de Vitré. Il perdit dans le désert quatre doigts du pied, comme Jérôme Costilla. Il se vit dix-sept fois vendu, comme Mendez-Pinto, fut forçat, comme Texeus, et faillit être eunuque, comme Parisol. Il eut le mal des pians, dont périssent les nègres, le scorbut, qui épouvantait Avicenne, et le mal de mer, auquel Cicéron préféra la mort. Il gravit des montagnes si hautes, qu’arrivé au sommet il vomissait le sang, les flegmes et la colère. Il aborda l’île qu’on rencontre parfois ne la cherchant point et qu’on ne peut jamais trouver la cherchant, et il vérifia que les habitants de cette île sont bons chrétiens. En Midelpalie, qui est au nord, il remarqua un château dans un lieu où il n’y en a pas ; mais les prestiges du septentrion sont si grands, qu’il ne faut pas s’étonner de cela. Il demeura plusieurs mois chez le roi de Mogor Ekebas, bien vu et caressé de ce prince, de la cour duquel il racontait plus tard tout ce qu’ont depuis couché par écrit les anglais, les hollandais et même les pères jésuites. Il devint docte, car il avait les deux maîtres de toute doctrine, voyage et malheur. Il étudia les faunes et les flores de tous les climats. Il observa les vents par les migrations des oiseaux et les courants par les migrations des céphalopodes. Il vit passer, dans les régions sous-marines, l’ommastrephes sagittatus allant au pôle nord, et l’ommastrephes giganteus allant au pôle sud. Il vit les hommes et les monstres ainsi que l’ancien grec Ulysse. Il connut toutes les bêtes merveilleuses, le rosmar, le râle-noir, le solendguse, les garagians semblables à des aigles de mer, les queues-de-jonc de l’île de Comore, les caper-calzes d’Écosse, les antenales qui vont par troupes, les alcatrazes grands comme des oies, les moraxos, plus grands que les tiburons, les peymones des îles Maldives qui mangent des hommes, le poisson manare qui a une tête de bœuf, l’oiseau claki qui naît de certains bois pourris, le petit saru qui chante mieux que le perroquet, et enfin le boranet, l’animal-plante des pays tartares, qui a une racine en terre et qui broute l’herbe autour de lui. Il tua à la chasse un triton de mer de l’espèce yapiaria, et il inspira de l’amour à un triton de rivière de l’espèce baëpapina. Un jour, étant en l’île de Manar, qui est à deux cents lieues de Goa, il fut appelé par des pêcheurs, lesquels lui montrèrent sept hommes-évêques et neuf sirènes qu’ils avaient pris dans leurs filets. Il entendit le bruit nocturne du forgeron marin, et il mangea des cent cinquante-trois sortes de poissons qu’il y a dans la