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LÉGENDE DU BEAU PÉCOPIN.

chasseur chasse. Il est absent, la quenouille console et désennuie. La meute aboie, le rouet chante. La meute, qui est au loin et qu’on entend à peine, mêlée au cor et perdue profondément dans les halliers, dit tout bas avec un vague bruit de fanfare : Songe à ton amant. Le rouet, qui force la belle rêveuse à baisser les yeux, dit tout haut et sans cesse avec sa petite voix douce et sévère : Songe à ton mari. Et, quand le mari et l’amant ne font qu’un, tout va bien.

Mariez donc la fileuse au chasseur, et ne craignez rien.

Cependant, je dois le dire, Pécopin aimait trop la chasse. Quand il était sur son cheval, quand il avait le faucon au poing ou quand il suivait le tartaret du regard, quand il entendait le jappement féroce de ses limiers aux jambes torses, il partait, il volait, il oubliait tout. Or en aucune chose il ne faut excéder. Le bonheur est fait de modération. Tenez en équilibre vos goûts et en bride vos appétits. Qui aime trop les chevaux et les chiens fâche les femmes ; qui aime trop les femmes fâche Dieu.

Lorsque Bauldour, et cela arrivait souvent, lorsque Bauldour voyait Pécopin prêt à partir sur son cheval hennissant de joie et plus fier que s’il eût porté Alexandre le Grand en habits impériaux, lorsqu’elle voyait Pécopin le flatter, lui passer la main sur le cou, et, éloignant l’éperon du flanc, présenter au palefroi un bouquet d’herbe pour le rafraîchir, Bauldour était jalouse du cheval. Quand Bauldour, cette noble et fière demoiselle, cet astre d’amour, de jeunesse et de beauté, voyait Pécopin caresser son dogue et approcher amicalement de son charmant et mâle visage cette tête camuse, ces gros naseaux, ces larges oreilles et cette gueule noire, Bauldour était jalouse du chien.

Elle rentrait dans sa chambre secrète, courroucée et triste, et elle pleurait. Puis elle grondait ses servantes, et, après ses servantes, elle grondait son nain. Car la colère chez les femmes est comme la pluie dans la forêt ; elle tombe deux fois. Bis pluit.

Le soir, Pécopin arrivait poudreux et fatigué. Bauldour boudait et murmurait un peu avec une larme dans le coin de son œil bleu. Mais Pécopin baisait sa petite main, et elle se taisait ; Pécopin baisait son beau front, et elle souriait.

Le front de Bauldour était blanc, pur et admirable comme la trompe d’ivoire du roi Charlemagne.

Puis elle se retirait dans sa tourelle, et Pécopin dans la sienne. Elle ne souffrait jamais que ce chevalier lui prît la ceinture. Un soir, il lui pressa légèrement le coude, et elle rougit très fort. Elle était fiancée, et non mariée. Pudeur est à la femme ce que chevalerie est à l’homme.