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FEUER ! FEUER !

quilles pétillent doucement dans des coins comme un feu de veuve. Les croisées des chambres devenues inaccessibles s’ouvrent et se ferment au vent. De jolies flammes bleues frissonnent aux pointes des poutres. De lourdes charpentes se détachent du bord du toit et restent suspendues à un clou, balancées par l’ouragan au-dessus de la rue et enveloppées d’une longue flamme. D’autres tombent dans l’étroit entre-deux des maisons et établissent là un pont de braise. Dans l’intérieur des appartements, les papiers parisiens à bordures prétentieuses disparaissent et reparaissent à travers des bouffées de cendre rouge. Il y avait au troisième étage un pauvre trumeau Louis XV, avec des arbres rocaille et des bergers de Gentil-Bernard, qui a lutté longtemps. Je le regardais avec admiration. Je n’ai jamais vu une églogue faire si bonne contenance. Enfin une grande flamme est entrée dans la chambre, a saisi l’infortuné paysage vert-céladon, et le villageois embrassant sa villageoise, et Tircis cajolant Glycère s’en est allé en fumée. Comme pendant, un pauvre petit jardinet, affreusement arrosé de charbons ardents, brûlait au bas de la maison. Un jeune acacia, appuyé à un treillage embrasé, s’est obstiné à ne pas prendre feu et est resté intact pendant quatre heures, secouant sa jolie tête verte sous une pluie d’étincelles.

Ajoutez à cela quelques blondes et pâles anglaises demi-nues sous l’averse à côté de leurs valises à quelques pas de l’auberge, et tous les enfants du lieu riant aux éclats et battant des mains chaque fois qu’un jet de pompe se dispersait jusqu’à eux, et vous aurez une idée assez complète de l’incendie de l’hôtel P—, à Lorch.

Une maison qui brûle, ce n’est qu’une maison qui brûle ; mais le côté vraiment triste de la chose, c’est qu’un pauvre homme y a été tué.

Vers quatre heures du matin, on était ce qu’on appelle maître du feu ; le gasthaus P—, toit, plafonds, escaliers et planchers effondrés, flambait entre ses quatre murs, et nous avions réussi à sauver notre auberge.

Alors, et presque sans entr’acte, l’eau a succédé au feu. Une nuée de servantes, brossant, frottant, épongeant, essuyant, a envahi les chambres, et en moins d’une heure la maison a été lavée du haut en bas.

Chose remarquable, rien n’a été dérobé. Tous ces effets déménagés en hâte, sous la pluie, au milieu de la nuit, ont été religieusement rapportés par les très pauvres-paysans de Lorch.

Au reste, ces accidents ne sont pas rares sur les bords du Rhin. Toute maison de bois contient un incendie, et ici les maisons de bois abondent. À Saint-Goar seulement, il y a en ce moment, à différentes places de la ville, quatre ou cinq masures faites par des incendies.

Le lendemain matin, je remarquais avec quelque surprise au rez-de-chaussée de la maison incendiée deux ou trois chambres fermées, parfaite-