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LA SOURIS.

aux crevasses de l’immense masure. — Je vais monter par un escalier d’herbe dans une espèce de salle haute. — J’y suis. — Rien que deux vues magnifiques sur le Rhin, les collines et les villages. — Je me penche dans le compartiment au fond duquel est le souterrain-gouffre. — Au-dessus de ma tête, deux arrachements de cheminées en granit bleu, quinzième siècle. Reste de suie et de fumée à l’âtre. — Peintures effacées aux fenêtres. — Là-haut, une jolie tourelle sans toit ni escalier, pleine de plantes fleuries qui se penchent pour me regarder. — J’entends rire les laveuses du Rhin. — Je redescends dans une salle basse. — Rien. Traces de fouilles dans le pavé. Quelque trésor enfoui par les gnomes que les paysans auront cherché. — Autre salle basse. — Trou carré au centre donnant dans un caveau. Ces deux noms sur le mur : Phedovius. Kutorga. J’écris le mien à côté avec un morceau de basalte pointu. — Autre caveau. — Rien. — D’ici je revois le gouffre. Il est inaccessible. Un rayon de soleil y pénètre. — Ce souterrain est au bas du grand donjon carré qui occupait l’angle opposé à la tour ronde. Ce devait être la prison du burg. — Grand compartiment faisant face au Rhin. — Trois cheminées, dont une à colonnettes, pendent arrachées à diverses hauteurs. Trois étages défoncés sous mes pieds. Au fond deux arches voûtées. À l’une, des branches mortes ; à l’autre, deux jolis rameaux de lierre qui se balancent gracieusement. J’y vais. Voûtes construites sur le basalte même du mont, qui reparaît à vif. Traces de fumée. Dans l’autre grand compartiment où je suis entré tout d’abord, et qui a dû être la cour, près de la tour ronde, plâtrage blanc sur le mur avec un reste de peinture et ces deux chiffres tracés en rouge : 23 — 18 — (sic) . Je fais le tour extérieur du château par le fossé. — Escalade assez pénible. — L’herbe glisse. — Il faut ramper de broussaille en broussaille au-dessus d’un précipice assez profond. Toujours pas d’entrée ni de trace de porte murée au bas de la grande tour. Reste de peintures sur les mâchicoulis. Le vent tourne les feuillets de mon livre et me gêne pour écrire. — Je vais rentrer dans la ruine. J’y suis. — J’écris sur une petite console de velours vert que me prête le vieux mur. »

J’ai oublié de vous dire que cette énorme ruine s’appelle la Souris (die Maüse). Voici pourquoi.

Au douzième siècle, il n’y avait là qu’un petit burg toujours guetté et fort souvent molesté par un gros château fort situé une demi-lieue plus loin, qu’on appelait le Chat (die Katz), par abréviation du nom de son seigneur, Katzenellenbogen. Kuno de Falkenstein, à qui le chétif burg de Velmich échut en héritage, le fit raser et construisit à la même place un château