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LE RHIN.

c’est cette grande famille de peuples à demi sauvages qui s’appelaient celtes, et que Rome appela gaulois ; qui ipsorum lingua celtæ, nostra vero galli vocantur, dit César. Les rauraques s’établirent plus près de la source, les argentoraques et les moguntiens plus près de l’embouchure. Puis, quand l’heure fut venue, Rome apparut ; César passa le Rhin ; Drusus édifia ses cinquante citadelles ; le consul Munatius Plancus commença une ville sur la croupe septentrionale du Jura ; Martius-Vipsanius Agrippa bâtit un fort devant le dégorgement du Mein, puis il établit une colonie vis-à-vis de Tuitium ; le sénateur Antoine fonda sous Néron un municipe près de la mer batave ; et tout le Rhin fut sous la main de Rome. Quand la vingt-deuxième légion, qui avait campé sous les oliviers mêmes où agonisa Jésus-Christ, revint du siège de Jérusalem, Titus l’envoya sur le Rhin. La légion romaine continua l’œuvre de Martius Agrippa ; une ville semblait nécessaire aux conquérants pour lier le Melibocus au Taunus, et Moguntiacum, ébauchée par Martius, fut construite par la légion, puis agrandie ensuite par Trajan et embellie par Adrien. — Chose frappante et qu’il faut noter en passant ! cette vingt-deuxième légion avait amené avec elle Crescentius, qui le premier porta la parole du Christ dans le Rhingau et y fonda la religion nouvelle. Dieu voulait que ces mêmes hommes aveugles qui avaient renversé la dernière pierre du temple sur le Jourdain en reposassent la première pierre sur le Rhin. — Après Trajan et Adrien, vint Julien, qui dressa une forteresse sur le confluent du Rhin et de la Moselle ; après Julien, Valentinien, qui érigea des châteaux sur les deux volcans éteints que nous nommons le Lowemberg et le Stromberg ; et ainsi se trouva nouée et consolidée en peu de siècles, comme une chaîne rivée sur le fleuve, cette longue et robuste ligne de colonies romaines, Vinicella, Altavilla, Lorca, Trajani castrum, Versalia, Mola Romanorum, Turris Alba, Victoria, Bodobriga, Antoniacum, Sentiacum, Rigodulum, Rigomagum, Tulpetum, Broïlum, qui part de la Cornu Romanorum au lac de Constance, descend le Rhin en s’appuyant sur Augusta, qui est Bâle, sur Argentina, qui est Strasbourg, sur Moguntiacum, qui est Mayence, sur Confluentia, qui est Coblentz, sur Colonia Agrippina, qui est Cologne, et va se rattacher, près de l’Océan, à Trajectum ad Mosam, qui est Maëstricht, et à Trajectum ad Rhenum, qui est Utrecht.

Des lors le Rhin fut romain. Il ne fut plus que le fleuve arrosant la province helvétique ultérieure, la première et la seconde Germanie, la première Belgique et la province batave. Le gaulois chevelu du nord, que venaient voir par curiosité, au troisième siècle, le gaulois à toge de Milan et le gaulois à braies de Lyon, le gaulois chevelu fut dompté. Les châteaux romains de la rive gauche tinrent en respect la rive droite, et le légionnaire vêtu de drap de Trèves, armé d’une pertuisane de Tongres, n’eut plus qu’à surveiller