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À PROPOS DU MUSÉE WALLRAF.

parfaitement verrouillée, et devant laquelle se tient debout un magnifique personnage splendidement harnaché ; c’est le suisse, qui a été prévenu de votre passage et qui vous attend. Le chœur est au suisse. Vous en faites le tour. Au moment où vous sortez, votre cicerone empanaché et galonné vous salue majestueusement. Pourboire. Le suisse vous rend au bedeau. Vous passez devant la sacristie. Ô miracle ! elle est ouverte. Vous y entrez. Il y a un sacristain. Le bedeau s’éloigne avec dignité, car il convient de laisser au sacristain sa proie. Le sacristain s’empare de vous, vous montre les ciboires, les chasubles, les vitraux que vous verriez fort bien sans lui, les mitres de l’évêque, et, sous une vitre, dans une boîte garnie de satin blanc fané, quelque squelette de saint habillé en troubadour. La sacristie est vue, reste le sacristain. Pourboire. Le bedeau vous reprend. Voici l’escalier des tours. La vue, du haut du grand clocher, doit être belle, vous voulez y monter. Le bedeau pousse silencieusement la porte ; vous escaladez une trentaine de marches de la vis de Saint-Gilles. Puis le passage vous est barré brusquement. C’est une porte fermée. Vous vous retournez, vous êtes seul. Le bedeau n’est plus là. Vous frappez. Une face apparaît à un judas. C’est le sonneur. Il ouvre et il vous dit : Montez, monsieur. Pourboire. Vous montez, le sonneur ne vous suit pas ; tant mieux, pensez-vous. Vous respirez, vous jouissez d’être seul, vous parvenez ainsi gaîment à la haute plate-forme de la tour. Là, vous regardez, vous allez et venez, le ciel est bleu, le paysage est superbe, l’horizon est immense. Tout à coup vous vous apercevez que, depuis quelques instants, un être importun vous suit, et vous coudoie, et vous bourdonne aux oreilles des choses obscures. Ceci est l’explicateur juré et privilégié, chargé de commenter aux étrangers les magnificences du clocher, de l’église et du paysage. Cet homme-là est d’ordinaire un bègue. Quelquefois il est bègue et sourd. Vous ne l’écoutez pas, vous le laissez baragouiner tout à son aise, et vous l’oubliez en contemplant l’énorme croupe de l’église d’où les arcs-boutants sortent comme des côtes disséquées, les mille détails de la flèche de pierre, les toits, les rues, les pignons, les routes qui s’enfuient dans tous les sens comme les rayons d’une roue dont l’horizon est la jante et dont la ville est le moyeu, les plaines, les arbres, les rivières, les collines. Quand vous avez bien tout vu, vous songez à redescendre, vous vous dirigez vers la tourelle de l’escalier. L’homme se dresse devant vous. Pourboire. — C’est fort bien, monsieur, vous dit-il en empochant, maintenant voulez-vous me donner pour moi ? — Comment ! et ce que je viens de vous donner ? — C’est pour la fabrique, monsieur, à laquelle je redois deux francs par personne ; mais à présent monsieur comprend bien qu’il me faut quelque petite chose pour moi. — Pourboire. Vous redescendez. Tout à coup une trappe s’ouvre à côté de vous. C’est la cage