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À PROPOS DE LA MAISON IBACH.

Laubardemont pour manche, serait la hache dont Richelieu trancherait la tête de son fils !

Et au milieu de ce chaos il y a des lois. Le chaos n’est que l’apparence, l’ordre est au fond. Après de longs intervalles, les mêmes faits effrayants qui ont déjà fait lever les yeux à nos pères reviennent, comme des comètes, des plus ténébreuses profondeurs de l’histoire. Ce sont toujours les mêmes embûches, toujours les mêmes chutes, toujours les mêmes trahisons, toujours les mêmes naufrages aux mêmes écueils ; les noms changent, les choses persistent. Peu de jours avant la pâque fatale de 1814, l’empereur aurait pu dire à ses treize maréchaux : Amen dico vobis, quia unus vestrum me traditurus est. — Toujours César adopte Brutus ; toujours Charles Ier empêche Cromwell de partir pour la Jamaïque ; toujours Louis XVI empêche Mirabeau de s’embarquer pour les Indes ; toujours et partout les reines cruelles sont punies par des fils cruels ; toujours et partout les reines ingrates sont punies par des fils ingrats. Toute Agrippine engendre le Néron qui la tuera ; toute Marie de Médicis enfante le Louis XIII qui la bannira.

Et moi-même, ne remarquez-vous pas de quelle façon étrange ma pensée arrive, d’idée en idée et presque à mon insu, à ces deux femmes, à ces deux italiennes, à ces deux spectres, Agrippine et Marie de Médicis, qui sont les deux spectres de Cologne ? Cologne est la ville des reines-mères malheureuses. À seize cents ans de distance, la fille de Germanicus, mère de Néron, et la femme de Henri IV, mère de Louis XIII, ont attaché à Cologne leur nom et leur souvenir. De ces deux veuves, — car une orpheline est une veuve, — faites, la première par le poison, la seconde par le poignard, l’une, Marie de Médicis, y est morte ; l’autre, Agrippine, y était née.

J’ai visité à Cologne la maison qui a vu expirer Marie de France — maison Ibach, selon les uns, maison Jabach, selon les autres, — et, au lieu de vous dire ce que j’y ai vu, je vous dis ce que j’y ai pensé. Pardonnez-moi, mon ami, de ne pas vous donner cette fois tous les détails locaux que j’aime et qui, selon moi, peignent l’homme, l’expliquent par son enveloppe et font aller l’esprit de l’extérieur à l’intérieur des faits. Cette fois je m’en abstiens. J’ai peur de vous fatiguer avec mes festons et mes astragales.

La triste reine est morte là, le 3 juillet 1642. Elle avait soixante-huit ans. Elle était exilée de France depuis onze ans. Elle avait erré un peu partout, en Flandre, en Angleterre, fort à charge à tous les pays. À Londres, Charles Ier la traita dignement ; pendant trois ans qu’elle y passa, il lui donna cent livres sterling par jour. Plus tard, je le dis à regret, Paris rendit à la reine d’Angleterre cette hospitalité que Londres avait donnée à la reine de France. Henriette, fille de Henri IV et veuve de Charles Ier, fut logée