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Est-ce que vous seriez assez bon pour vous charger de faire parvenir la petite lettre ci-incluse à notre excellent ami commun M. de Custine qui doit être en ce moment à Naples[1].


À Monsieur le Marquis de Custine à Naples[2],
aux bons soins de M. Billing.


Paris, 11 mai.

Merci de votre charmante lettre. Vous ne sauriez croire avec quelle fête elle a été reçue place Royale. Il n’y a que vous qui le seriez mieux.

Je vous réponds avec mes mauvais yeux que le gris printemps de Paris ne rétablit pas. Vous êtes bien heureux, vous Napolitain qui avez des arbres verts et un ciel bleu. Ici les arbres et le ciel sont couleur de pavé. Notre ciel est au vôtre comme la musique de Feydeau à celle de St Charles. Vous allez au Pausilippe pendant que nous allons à Montmartre. Vous avez la tombe de Virgile, nous avons celle de Delille. Je vous envie.

Votre description de ces pauvres truandes napolitaines nous a fort amusés d’abord, puis fort occupés. Vous avez raison. Il y a plus d’une grave et douloureuse question sous ces grotesques choses. Quand donc les gens qui gouvernent seront-ils des gens qui réfléchissent !

J’espère que ceci vous trouvera encore à Naples. Je vous fois passer cette lettre par l’entremise de M. Billing. Elle ne vous en arrivera, j’espère, que plus sûrement. J’écris en même temps à M. Billing, homme fort distingué de tout point, dont j’ai reçu le mois passé une lettre charmante.

Dites, je vous prie, à M. de Sainte Barbe combien nous lui sommes attachés. Ma femme est en ce moment patronesse de toutes sortes de bals pour les pauvres, les orphelins, les exilés, etc. Elle songe bien souvent à vous et à M. de Sainte Barbe qui lui a été d’un si grand secours pour ses charités l’an dernier.

Il n’y a rien ici qui vaille la peine de vous être conté, rien que des actes de cynisme et d’impudeur des hommes qui administrent la France pour leur plus grand profit à cette heure. À Naples, ce sont les filles qui troussent leurs jupes et qui montrent leur derrière. Ici, c’est le gouvernement.

Adieu. Écrivez-moi souvent, ou revenez bien vite. C’est une des choses les plus consolantes de cette vie que le serrement de main d’un ami. J’ai besoin du vôtre. Ex imo corde.

V.
  1. Communiquée par M. Matarosso.
  2. Inédite.