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À Alphonse Karr.


Paris, 8 janvier 1874.
Mon cher Alphonse Karr,

Je suis ému des paroles cordiales que vous m’adressez. N’ayant jamais eu de tort envers vous, je ne m’expliquais pas cette hostilité dont on me parlait quelquefois. Elle devait se dissiper. Il y avait malentendu évident. Aujourd’hui nous nous retrouvons. J’en suis heureux, si un tel mot est possible dans un tel deuil.

Je traverse en ce moment une des plus douloureuses épreuves de ma vie. À cette occasion, vous me conseillez de quitter la politique[1]. Hélas ! ce que je dois quitter, et ce que je quitte, c’est tout.

Ce mot que vous prononcez « la politique » m’a toujours paru peu défini. Quant à moi, j’ai essayé, selon la mesure de mes forces, d’introduire dans ce qu’on appelle la politique, la question morale et la question humaine. Au point de vue moral, j’ai combattu Louis Bonaparte. Au point de vue humain, j’ai élevé la voix pour les opprimés de tous les pays et de tous les partis. Je pense avoir bien fait. Ma conscience me donne raison. Si l’avenir me donnait tort, j’en serais fâché pour l’avenir.

Cher vieil ami, les grandes douleurs sont le rendez-vous des bons cœurs. Ma main serre la vôtre.

Victor Hugo[2].


À Charles Monselet.


8 janvier 1874.

Mon doux et charmant confrère, n’oubliez pas que la rue Pigalle vous attend ce soir. Notre deuil a besoin du sourire triste et bon d’un ami tel que vous. Quelle page exquise vous avez écrite sur la question chapeau mou et omnibus ! Que c’est charmant un esprit qui a du cœur !

Tuus.
Victor Hugo[3].
  1. Dans Les Guêpes du 4 janvier 1874, Alphonse Karr, à propos de la mort de François-Victor, avait écrit sur Victor Hugo un article au fond peu bienveillant.
  2. Archives de la famille de Victor Hugo. — Brouillon.
  3. Charles Monselet.Mes souvenirs littéraires.