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moi, c’est tout simple ; mais si le souhait est pour vous, c’est moins simple. Tout le monde au Rappel vous aime, vous honore, et vous admire ainsi que notre illustre et cher Quinet ; mais ils sont dans un tourbillon, en pleine fumée et en pleine poussière du combat. De là bien des omissions. Ainsi ils n’ont pas fait d’article sur l’Homme qui Rit ; ainsi je n’en vois pas paraître sur ce grand livre, la Création. Je vais écrire de nouveau. Ne pourriez-vous dire à M. Michelet, notre ami commun, de rappeler ma lettre à M. Meurice ? Je voudrais lire dans le Rappel un grand article sur le livre de Quinet et sur le vôtre. Mes fils, à cause de moi, ont dû s’interdire toute immixtion dans la critique ; mais j’insisterai près de notre cher Meurice. Je n’ai pas reçu votre livre (M. Lacroix n’en fait pas d’autres) mais je sais qu’il est noble, doux et charmant. Et comment en serait-il autrement ? Vous êtes une belle âme à côté d’une grande âme.

Je me mets à vos pieds, madame, et j’embrasse Quinet.

V. H.[1]


À Paul Meurice.


Hauteville-House, 20 mars.

Je vous écris oppressé. Il y a ici une catastrophe. Un packet s’est perdu (ci-joint les détails). L’île est en deuil, les pavillons sont en berne, les maisons fermées. C’est la première fois qu’un packet se perd depuis quarante ans qu’il y a entre l’Angleterre et l’archipel un va-et-vient de steamers. Le capitaine est mort stoïquement. Il s’appelait Harvey. Une large face vermeille, des favoris blancs, des yeux bons et braves.

Il y a trois ans, en juillet 1867, j’étais sur son bateau. La flotte anglaise était à Shurness pour le vice-roi d’Égypte et la reine Victoria. Quelques ladies qui étaient à bord du Normandy avec moi et qui souhaitaient voir la flotte, me prièrent d’en exprimer le désir. C’était un détour de deux heures. Il fallait contourner l’île de Wight. Elles me disaient : « Dites au capitaine que vous en avez envie. — Mais, mesdames, leur répondis-je, un navire français ne ferait pas cela pour moi. » Le capitaine Harvey entendit. Il s’écria : « Ce qu’un navire français ne ferait pas pour Victor Hugo, un navire anglais doit le faire. » Et il mit le cap sur Shurness, me montrant la flotte pendant que la reine la montrait au khédive. Cet aimable homme était un héros, et vient de mourir superbement. Il a sauvé tous ceux qu’il a pu ; et il est resté pour mourir.

Je vous dis tout cela. Je suis triste. Triste aussi du coup qui frappe notre

  1. Bibliothèque Nationale. Nouvelles acquisitions françaises.