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ticulier avec grand respect et sympathie profonde de madame la duchesse d’Orléans ; mais j’ai terminé en disant : Du reste, j’appartiens à jamais à la République, et entre la famille d’Orléans et moi, il ne peut y avoir et il n’y a pas d’avenir commun. — Je pense qu’il aura compris.

Il fait ici très beau depuis quelques jours, mais je n’en profite pas, travaillant presque toute la journée. En ce moment j’ai le plus beau soleil du monde sur le papier de cette lettre et ma fenêtre est toute grande ouverte. La seule chose qui me fatigue, c’est d’être assez souvent obligé de refaire des choses déjà faites dans mon livre, à cause des nouveaux renseignements. Oh ! comme je comprends le mot de l’abbé Vertot : Mon siège est fait !

Mon mal de larynx a à peu près disparu ; il est remplacé par une douleur sourde et fixe au cœur. On me dit qu’il faudrait marcher et moins travailler, et c’est justement ce qui m’est impossible. À la grâce de Dieu !

Nous trouvons d’ici que tout va bien là-bas. Je me défie un peu de notre coup d’œil d’exilés, et je tâche de ne pas me flatter. Après tout, que la providence fasse ce qu’elle voudra. J’ai dix ans d’exil au service de la République.

Chère amie, tes lettres sont ce que je sais de plus noble, de plus digne et de meilleur au monde. Elles n’ont de défaut que quand elles sont courtes. Écris-moi donc long et beaucoup. Embrassez-vous tous trois en moi, toi, mon Adèle et mon Victor. Je serai au milieu de vous.

Mes plus cordiales effusions à notre cher Auguste. Si tu vois Nefftzer[1], fais-lui nos vives et bonnes amitiés.

Ceci entre parenthèses pour ma fille (Ma Dédé chérie, écris-moi !)[2].


À Théophile Gautier,


Bruxelles, 17 avril 1852.

Cher Théophile, vous rappelez-vous nos dimanches de la Tour d’Auvergne ? N’y étiez-vous pas un soir avec Janin quand Mme  Dillon s’est mise au piano ? Si vous y étiez, vous n’avez rien oublié, j’en suis sûr. Vous savez que je hais le piano, mais sous les mains de Mme  Dillon, ce n’est plus le piano, c’est une voix qui parle, c’est un cœur qui saigne, c’est une âme qui chante. Où pour les autres il n’y a qu’un chaudron, il y a pour Mme  Dillon une lyre. Il est vrai que c’est sa propre musique qu’elle chante, et que cette musique elle l’improvise, elle l’invente, elle la crée, elle la prend et la puise

  1. Nefftzer, journaliste, devint directeur politique de La Presse ; il fonda, en 1861, Le Temps, dont il fut le rédacteur en chef jusqu’en 1871.
  2. Bibliothèque Nationale.