Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Hetzel dit qu’un mot de moi à Desnoyers[1] ouvrirait à Charles le feuilleton du Siècle. Je t’enverrai ce mot. Charles pourrait donner au Siècle des lettres non politiques sur Bruxelles. Dis-moi ton avis. Il faut que Charles travaille, et gagne de l’argent. Ceci atteindrait les deux buts et lui plaît beaucoup.

Je suis jusqu’au cou dans mon cloaque du Deux-Décembre. Cette vidange faite, je laverai les ailes de mon esprit, et je publierai des vers.

Tu as dû recevoir deux lettres de moi la semaine passée, l’une par Mme Chambolle, l’autre par Mme de Laska.

Chère amie, j’embrasse Adèle sur tes joues, et toi sur les joues d’Adèle. Écrivez-moi. — Poignées de main à Auguste et Paul Meurice. — Embrasse mon Victor[2].


À Jules Janin.


Bruxelles, 24 mars 1852.

Tout de suite un mot pour vos quatre pages. Votre lettre m’a trouvé écrivant à la France et à la postérité (j’espère, car la chose en vaut la peine), l’histoire de cet homme. — Est-ce un homme ? — Je m’interromps pour vous serrer la main. Si vous saviez quel bonheur c’est pour un exilé, — c’est toujours un peu sombre, l’exil, — de recevoir un rayon d’un charmant grand esprit comme vous. Vous me racontez mon avenir et mon avenir en de tels termes qu’il me semble que je le tiens, et cela me suffit. Oh ! si j’avais ma femme et mes deux autres enfants, et quelques amis dont vous êtes, cher Janin, et un peu de ciel bleu, et paulum sylvae super his foris, je ne demanderais rien, je ne regretterais rien. Quoi, pas même la France ! Hélas ! est-ce qu’il y a une France à présent ? Où est-elle ? Ma patrie, mon Dieu, montrez-la moi. Il n’y a pas pour moi la patrie, là où il n’y a pas la liberté. — Vous avez du reste raison de ne pas me plaindre, cher ami. — Dans le triomphe de la violence inepte sur la liberté, dans cette expulsion de l’intelligence par la force brutale, j’ai été choisi, parmi tant d’hommes qui valent mieux que moi, pour représenter l’intelligence, choisi, non par le Bonaparte qui ne sait ce qu’il fait, le pauvre imbécile, mais par la Provi-

  1. Louis Desnoyers, journaliste. Promoteur et l’un des premiers présidents de la Société des Gens de lettres, il fonda en 1828 Le Sylphe, collabora au Figaro, au Voleur, au Corsaire, au National, et fut directeur littéraire du Silphe. Il publia plusieurs livres pour la jeunesse ; le plus connu est : Les Aventures de Jean-Paul Choppart.
  2. Bibliothèque Nationale.