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Il est huit heures du soir et je ne sais si j’arriverai à temps pour la rencontrer chez elle aujourd’hui.

J’ai invité hier Girardin à dîner et nous avons causé en toute cordialité. Il m’a parlé d’un feuilleton de Gautier qui me touche. Remercie Gautier pour moi[1]. Il paraît que M. Augier[2] me croit fusillé et croit mes ouvrages fusillés avec moi. Girardin m’a dit que le feuilleton de Gautier était charmant et m’a promis de me l’envoyer, ainsi qu’un feuilleton de Janin[3]. Donc il faudra que tu remercies Janin. Je suis convaincu que le remercîment venant de toi lui fera encore plus de plaisir que de moi.

Je viens de lire une bonne phrase dans l’Émancipation, journal jésuite et bonapartiste d’ici. Je te la transcris. Il s’agit du Corps Législatif.

« Les élections sont parfaitement libres. Cependant un journal qui proposerait au choix des électeurs le nom de Victor Hugo ou le nom de Charras serait inévitablement suspendu ».

La chose est adorable. Voici sur le même sujet ce que dit le Messager des Chambres[4].

Tu as dû recevoir ce matin mercredi par Mme  Bellet la procuration avec un mot de moi. M. Taillet a dû t’expliquer le retard de ta lettre. Je t’envoie

  1. Théophile Gautier, dans son feuilleton du 24 février 1852 (La Presse), disséquait un drame en vers d’Émile Augier, Diane, qu’on venait de représenter au Théâtre-Français ; il reprochait à l’auteur d’avoir modernisé et dénaturé Marion de Lorme, établissait un parallèle entre les situations, les personnages et les vers des deux pièces et terminait ainsi : « Mais M. Augier n’a peut-être ni lu, ni vu Marion de Lorme ».
  2. Émile Augier écrivit de nombreux drames et comédies ; quelques-unes de ses pièces sont encore représentées avec succès à la Comédie-Française : L’Aventurière, Les Effrontés, Le Fils de Giboyer, Le Gendre de M. Poirier, Les Fourchambault.
  3. Comme celui de Théophile Gautier, le feuilleton de Janin (Le Journal des Débats, 23 février 1852) prend à partie Émile Augier en opposant Marion de Lorme à Diane ; analysant le nouveau drame presque scène à scène, il en indique tout au long les rapprochements plutôt maladroits ; Janin, qui avait été en 1831 plus qu’aigre-doux pour Marion de Lorme, en détaille complaisamment les beautés, loue la forme et le fond et revient, en plus d’un point, sur le jugement qu’il avait porté à la création du drame.
  4. « Ce que le ministère de l’Intérieur accorde ostensiblement, la liberté de vote, le ministère de la Police est chargé de le retirer. C’est ainsi que M. de Maupas se vante d’avoir étouffé la candidature de M. L. Faucher, et que dans le faubourg Saint-Antoine, plusieurs ouvriers, chefs de famille, ont été menacés d’un procès en impression clandestine, pour avoir imprimé avec une de ces petites presses lithographiques que tout négociant possède des bulletins portant le nom de M. Victor Hugo. La nomination de M. Hugo serait pour l’Élysée un grand sujet de mécontentement. De tous les bannis, l’illustre poète est celui contre lequel M. Bonaparte nourrit le plus de haine : c’est de l’animosité personnelle, avivée par la popularité toujours croissante du proscrit. Détesté dans les salons de la noblesse et de la bourgeoisie avant le coup d’État, M. Hugo y a retrouvé tout le terrain perdu. On le considère aujourd’hui comme un des plus énergiques défenseurs du droit et de la vraie liberté, également ennemi du despotisme et de la licence. C’est principalement à cause de M. Hugo que le bruit a été répandu que le gouvernement ne laisserait élire aucun représentant banni à perpétuité. Les bannis à temps sont seuls exemptés de cet ostracisme ».