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Charles te raconte que je l’ai mené à Louvain. On m’y a fait grand accueil. Le bibliothécaire m’attendait à la bibliothèque, le directeur de l’Académie à l’Académie, l’échevin à l’Hôtel de Ville. On m’a donné une médaille. Le curé ne m’attendait pas à l’église. J’y suis allé pourtant. La ville était en rumeur. Les élèves de l’Université me suivaient dans la rue à distance. L’un d’eux m’a écrit : — Nous n’avons pas crié vivat de crainte de donner ombrage, à votre sujet, à notre pauvre petit gouvernement.

Chère amie, je te finis cette lettre à dix heures du soir. Je vais l’envoyer chez Serrière qui part demain matin. Plusieurs représentants, Yvan[1], Labrousse, Barthélemy[2] sont là autour de moi qui me parlent de toi et t’envoient leurs respects. J’écrirai à Abel et à Béranger, ainsi qu’à Mme Ménnechet et Lucas[3]. J’écrirai à mon Victor et à ma courageuse et charmante petite Adèle. Je dis petite, quoiqu’elle soit aussi grande que toi, mais je la vois toujours haute comme ça, disant : papa é i[4].

Remercie Meurice de sa belle et bonne lettre et embrasse toute ma Conciergerie. — À toi, à vous tous[5].


À Madame Victor Hugo.


26 février.

J’ai passé la journée avec Marc Dufraisse[6], lui me contant, moi écrivant. J’ai griffonné ainsi sans m’en apercevoir vingt pages de petit texte, ce qui fait, chère amie, que je suis abruti ce soir. Je voulais écrire à toute ma Conciergerie, je voulais écrire à mon Adèle chérie, et voilà que j’ai à peine le temps de t’envoyer dix lignes. Le gros paquet sera pour la prochaine fois.

C’est Mme Coppens qui te portera cette lettre. Elle part demain matin.

  1. Le docteur Yvan, représentant des Basses-Alpes en 1849, protesta vivement contre le coup d’État et reçut chez lui pour y délibérer les représentants restés libres. Quand la lutte fut devenue inutile, il gagna Bruxelles.
  2. Barthélemy Terrier, médecin, républicain convaincu, encourut deux condamnations politiques sous le règne de Louis-Philippe. Élu en avril 1848 représentant de l’Allier, il protesta contre le coup d’État, fut expulsé, passa en Belgique, puis en Angleterre où il resta toute la durée de l’Empire.
  3. Mme Lucas, femme d’Hippolyte Lucas.
  4. Papa chéri.
  5. Bibliothèque Nationale.
  6. Marc Dufraisse, avocat, élu en 1848 représentant de la Dordogne, républicain démocrate, vota en mars 1851 pour le maintien des lois de bannissement ; il fut l’un des plus énergiques protestataires pour la résistance au coup d’État ; proscrit, il se réfugia en Belgique où, pour vivre, il se fit correcteur d’imprimerie, puis passa à Zurich comme professeur de législation comparée. Rentré en France après le 4 septembre, il fut élu en 1871 représentant de la Seine, siégea à gauche, et repoussa les préliminaires de paix. Il laissa un certain nombre de publications historiques. — Le Cahier complémentaire, Histoire d’un crime, tome 2, Édition de l’Imprimerie Nationale, donne la relation de son emprisonnement à Mazas.