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Frédérick[1], le Don César[2]. Il m’a fort parlé d’Auguste dont il sent le haut avenir dramatique. Il m’a paru homme intelligent. Il m’a dit que le Maupas avait poussé un cri de joie à l’idée d’une pièce de moi, se figurant sans doute que la littérature m’ôterait à la politique. Je lui ai dit qu’après la publication de mon livre, je verrais, mais que je devais ne rompre maintenant le silence que par un soufflet sur la joue du coup d’État. Il m’a offert de faire venir répéter sa troupe à Bruxelles ou à Londres, où je serais. Je dois le revoir encore.

Je suis charmé que le Voyage soit dans la Revue[3]. Quant à mon enfance, ajourne[4]. Je suis absorbé en ce moment par Bonaparte. — À bientôt, chère, bien chère amie. Mes tendresses à ma Dédé. Prends-en beaucoup pour toi[5].


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, 22 février.

Serrière[6] sort d’ici et nous a remis le paquet que tu nous envoies.

Je commence par te dire que tu es une noble et admirable femme. Tes lettres me font venir les larmes aux yeux. Tout y est dignité, force, simplicité, courage, raison, sérénité, tendresse. Si tu parles politique, tu le fais bien, tu vois juste et tu dis vrai. Si tu parles affaires et famille, c’est un grand et bon cœur qui parle. Comment donc peux-tu me supposer, avec toi — et avec personne, — un double fond ? Qu’ai-je à cacher, à toi surtout ?

Ma vie défie le soleil, et mon âme aussi ! Tu me parles argent à regret ? Je le comprends. Nous sommes pauvres, et il faut passer dignement un défilé qui peut finir vite, mais qui peut être long. J’use mes vieux souliers, j’use mes vieux habits, c’est tout simple. Toi, tu supportes les privations, les

  1. Victor Hugo qualifiait ainsi Frédérick Lemaître : « le plus grand acteur de ce siècle, le plus merveilleux comédien peut-être de tous les temps ». Après un grand succès dans L’Auberge des Adrets, il eut la joie de créer Gennaro dans Lucrèce Borgia en 1833 et, en 1838, Ruy Blas. À soixante-treize ans, il reparut dans le rôle épisodique du vieux juif dans Marie Tudor. Victor Hugo lui a consacré des vers : À un grand comédien, qui ont paru dans Toute la Lyre.
  2. Pièce projetée par Victor Hugo et dont on trouvera des fragments dans le Théâtre inédit. Édition de l’Imprimerie Nationale.
  3. Mme Victor Hugo avait réussi à faire accepter un fragment du Voyage de Mme d’Aunet. Ce fragment fut publié dans la Revue de Paris d’août 1852 sous le titre : Voyage d’une femme au pôle arctique et fit partie du volume paru en 1853 : Voyage d’une femme au Spitzberg.
  4. Mme Victor Hugo avait annoncé l’intention d’écrire un livre sur la jeunesse de son mari ; ce projet se réalisa, s’étendit jusqu’en 1840 et parut en 1863 : Victor Hugo raconté par un témoin de sa vie.
  5. Bibliothèque Nationale.
  6. Serrière avait été l’imprimeur de la Presse, de l’Événement, de l’Avènement. Il avait été fort inquiété lors de l’occupation militaire de ces journaux. Après le coup d’État, il quitta Paris et se réfugia à Bruxelles.