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Ici, en attendant qu’on me chasse on me caresse. À de certains jours mon immense galetas ne désemplit pas. Hier un prêtre est venu, l’abbé Louis, chef d’une institution probablement un peu jésuite, autrefois rédacteur d’un journal clérical. Il s’est confondu en admirations, puis m’a dit : Monsieur Victor Hugo, j’ai un pardon à vous demander. — Lequel ? — Je vous ai attaqué autrefois dans mon journal d’une manière horrible. — Eh bien ? — Oubliez-le. — Je lui ai dit : cela me sera d’autant plus facile à oublier que je ne l’ai jamais su. — Et tout le groupe qui était là s’est mis à rire. Du reste ce prêtre est bon homme. Il hait le Bonaparte. Il m’a dit : — Le clergé de France en ce moment perd l’église de Rome. — Oui, lui ai-je dit, mais l’église de Rome avait déjà perdu le clergé de France.

Je voyais l’autre jour de ma fenêtre sur la place un charlatan qui avait appuyé son tréteau à deux tas d’ordures, n’ayant pu trouver mieux. Hier en lisant la liste du sénat et la liste du conseil d’état, j’ai pensé à ce charlatan.

L’un appuie sa dictature comme l’autre appuyait son tréteau.

Nous, qu’allons-nous faire ? Que publierons-nous ? et comment publierons-nous ? je ne vois pas encore distinctement de quel côté ni de quelle façon, mais j’ai la certitude absolue que le débouché se fera. Nous emportons avec nous la pensée française, et la pensée française est nécessaire au monde politique, au monde littéraire et au monde commercial. Déjà quelques linéaments se forment, mais rien ne se dessine encore bien nettement. J’envoie à ma femme un journal belge qui parle de la contrefaçon à un bon point de vue. Vous lirez cela. C’est une idée qui gagne ici du terrain. Les chambres vont s’en occuper. Hier soir Méline (le grand éditeur contrefacteur) m’a envoyé Van Hasselt, me dire qu’aussitôt la question législative vidée, il me ferait des offres sérieuses, qu’il me priait de ne rien précipiter et de ne point conclure avec d’autres d’ici là. — En attendant, j’avance mon 2 décembre. Ce sera, par les faits curieux et innombrables, un livre inouï d’intérêt. Dinocourt[1] l’écrirait qu’il s’en vendrait cent mille.

Quant à l’Avènement ou l’Événement, est-ce que vous croyez à une loi de presse praticable en France ? je n’y crois pas. Je dis plus, j’affirme que la négation de toute presse continuera indéfiniment. Le lendemain du premier journal libre, Bonaparte tomberait. Quel est votre sentiment à ce sujet ? — On peut attendre encore. — Après quoi il sera utile et prudent de retirer le cautionnement.

Quant à l’Événement en lui-même (ou l’Avènement) il lui reste un avenir, fort beau peut-être, dont Hetzel et d’autres m’ont parlé et dont nous causerons quand vous serez libres tous. Il y a ici un rédacteur de l’Avènement,

  1. Dinocourt était un romancier trop fécond.