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Ce matin, j’avais cercle d’anciens représentants et d’anciens ministres dans mon bouge de la Porte Verte où je suis toujours.

On m’a apporté une lettre confidentielle de Louis Blanc[1]. Ils vont fonder à Londres un journal paraissant toutes les semaines, en français. Le comité serait composé de trois français, trois allemands, trois italiens. Je serais l’un des trois français avec Louis Blanc et Pierre Leroux. Que dis-tu de cela ? On pourrait faire une grande lutte contre le Bonaparte. Mais je crains que cela ne retombe sur nos pauvres chers prisonniers. Dis-moi ce que tu penses à ce sujet. Mais n’en parle à personne qu’avec une extrême réserve. Le secret m’est demandé.

Schœlcher[2] est arrivé cette nuit, déguisé en prêtre. Je ne l’ai pas encore vu. L’autre nuit, je dormais. On me réveille. C’était de Flotte[3] qui entrait dans ma chambre avec un avocat de Gand. Il avait coupé sa barbe. Je ne le reconnaissais pas. J’aime beaucoup de Flotte. C’est un brave et un penseur. Nous avons causé une partie de la nuit. Il est comme moi plein de courage et de foi en Dieu.

Je t’embrasse tendrement, pauvre chère amie, et mes chers enfants. Je vous envoie toutes mes tendresses. — À bientôt mon Charles. — Chère amie, serre les deux mains à Auguste et à Paul Meurice. Mets-moi aux pieds de madame Paul Meurice. Comme vous devez avoir encore de bonnes heures tous ensemble dans cette prison ! Que je voudrais y être avec vous et avec eux !

Embrasse pour moi Bellet et sa gracieuse et excellente femme. À bientôt.

Mets sur la lettre blanche que je t’envoie cette adresse : Mme d’Aunet[4], poste restante, Bordeaux. Et fais jeter à la poste[5].

  1. Louis Blanc, homme politique, orateur et historien, démocrate socialiste, fit partie du gouvernement provisoire en février 1848 et dut, après l’émeute du 15 mai, se réfugier à Londres où il vécut jusqu’à la fin de l’empire. Il y publia l’Histoire de la Révolution française. Il rentra en France après le 4 septembre 1870 ; élu à l’Assemblée nationale, il fut le chef de l’extrême gauche. Sa correspondance avec Victor Hugo se poursuit de 1839 à 1881. Il va sans dire que les opinions de Victor Hugo s’étant modifiées en 1849, ils combattirent tous deux dans les mêmes rangs.
  2. Schœlcher lutta toute sa vie pour l’abolition de l’esclavage. Sous-secrétaire d’État aux Colonies, il sut, en 1848, faire admettre le décret qui abolit l’esclavage dans les colonies françaises, puis démissionna. Député de la Martinique, puis de la Guadeloupe, il siégea à la Montagne et combattit l’élection à la présidence de Louis Bonaparte dont il fut jusqu’au bout l’adversaire. Expulsé au coup d’État, il vécut en Angleterre jusqu’en 1870 ; il rentra alors en France et fut élu à l’Assemblée nationale. Il s’efforça d’amener une entente entre Versailles et la Commune, mais échoua et fut emprisonné. — Sénateur en 1875. Il a publié une Histoire des crimes du 2 décembre et plusieurs ouvrages sur l’abolition de l’esclavage.
  3. De Flotte servit dans la marine sous Dupetit-Thouars et Dumont d’Urville. En 1846, de Flotte propagea les doctrines socialistes. Compromis dans les événements du 15 mai 1848, il fut arrêté et transporté à Belle-Isle. Il donna sa démission d’officier de marine en 1849 et fut élu à l’Assemblée législative en 1850. Expulsé au coup d’État, il se réfugia en Belgique. Lors de l’expédition de Garibaldi en Sicile, il fut chargé d’un débarquement en Calabre et fut tué en combattant, le 22 août 1860.
  4. Mme d’Aunet, après son divorce avec M. Biard, reprit son nom de jeune fille.
  5. Bibliothèque Nationale.