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À Paul de Saint-Victor.


2 octobre 1862.

Je viens de lire votre premier article sur Les Misérables[1]. Je vous remercie. Vous écrivez depuis quatorze ans page à page et jour à jour un des grands livres du temps : l’histoire de l’art contemporain confronté avec l’idéal. Cette confrontation sereine est le triomphe de votre lumineux esprit. Pensée, poésie, philosophie, peinture et statuaire, vous éclairez tout à la réverbération magnifique de cette vision du beau que vous avez dans l’âme. La beauté de votre âme, c’est qu’elle est un cœur. On sent, dans vos enseignements d’artiste et de philosophe, le profond attendrissement de la justice et de la vérité. Devant Eschyle, vous êtes grec ; devant Dante, vous êtes italien ; et avant tout vous êtes homme. De là le profond penseur et le grand écrivain que j’aime en vous. Vous le savez, pas une ligne de vous ne m’échappe, je vous lis avec l’assiduité douce d’un frère de votre esprit, à chaque coup vous atteignez le but, et voilà bien des années déjà que je vous suis des yeux et que je vous admire, vidant, sans l’épuiser, sur toutes les cibles du beau et du vrai, votre carquois plein de rayons.

Je suis fier aujourd’hui de cette œuvre que vous attachez à mon œuvre. Vous incrustez dans ma muraille des bas-reliefs de marbre. Après la lecture de ce premier article si admirable, où chaque mot a la profondeur de l’idée et la transparence de la vérité, j’aurais dû maîtriser mon émotion, et garder le silence jusqu’à ce que, la série terminée[2], je pusse vous dire mon impression entière. Je le ferai désormais. Mais je ne l’ai pu cette fois. Vous me le pardonnez, n’est-ce pas ?

Cher grand penseur, je vous serre la main.

Victor Hugo[3].


À l’éditeur Castel.


Hauteville-House, 5 octobre 1862.
Mon cher monsieur Castel,

Le hasard a fait tomber sous vos yeux quelques espèces d’essais de dessins faits par moi, à des heures de rêverie presque inconsciente, avec ce qui res-

  1. La Presse, 1er octobre 1862.
  2. Il n’y eut pas de suite à l’article du 1er octobre ; peut-être, comme le suppose M. Alidor Delzant dans son étude sur Paul de Saint-Victor, la censure prit-elle ombrage de cette analyse enthousiaste des Misérables.
  3. Collection Paul de Saint-Victor.