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Celle-ci était nécessaire, mais, en dehors de la nécessité absolue, tout ce qui dissout notre groupe de famille est mauvais. Liberté, mais ensemble. Voilà ce qui est, je crois, le vrai et le sage. Tâche de le faire comprendre à ta mère. Quant à moi, je n’ai plus qu’une pensée, revenir le plus tôt possible à Guernesey. Attends-toi donc à me voir arriver. Si tu es encore à Jersey à ce moment-là, j’irai t’y embrasser, mon enfant chéri.

Quelles précautions as-tu prises en partant pour les manuscrits ? es-tu entièrement sûr ? puis-je être absolument tranquille ? Écris-moi un mot détaillé à ce sujet.

Voilà de l’argent. Amuse-toi, mon enfant chéri. On n’a pas besoin de te dire de travailler. Tu as en toi la même flamme que moi et la même volonté. Sois donc heureux là-bas. Puis reviens, que nous mangions mon raisin ensemble.

Écris-moi sous le couvert de ta mère, rue de Louvain, 26, à Bruxelles. Donne-moi des détails. Parle-moi de tous nos amis. Parle-moi de la maison. Que font Marie et Rosalie ? Je viens de passer deux jours à Bruxelles avec ta mère, ta sœur et Charles. Hetzel et Parfait y étaient venus exprès. Puis je suis revenu ici travailler. Les yeux de ta mère vont de mieux en mieux. À bientôt. Je t’aime bien profondément, cher fils.

Ma lettre aux Italiens[1] a été reproduite par tous les journaux de Belgique, de France et d’Italie[2].


À Charles.


Eyndheven, 15 août [1861].

Mon petit Charles, je te griffonne ceci sur une feuille arrachée à mon carnet, avec mon genou pour table, dans un coin d’auberge ; je suis en pleine école buissonnière, je viens de voir la Hollande. Voilà trois semaines que j’y fais des zigzags, allant de Maëstricht à Utrecht, de Schiedam à Amsterdam. J’ai tout vu. Il y a des merveilles en tout genre, et comme nature et comme art, mais l’ensemble est une désillusion. Il faut toute ma bienveillance pour ne pas être furieux. La vieille Hollande chinoise n’existe plus ; une curiosité, c’est qu’il n’y a pas de curiosités. Tout est gratté, parfait, anglais, châtré, badigeonné en jaune. Il y a cinquante ans, Prudenheim, sous le nom de Louis Bonaparte, a régné ici. Le style empire y fait loi. Les rares carillons

  1. Actes et Paroles. Pendant l’exil.
  2. Bibliothèque Nationale.