Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/359

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qu’ils vous prennent pour maître. Votre attitude sereine et vaillante au milieu de tant d’abaissements est un grand exemple. Je vous écris ce billet sur le coin d’une table d’auberge, un peu au hasard, comme cela me vient, mais ému, attendri, charmé.

À vous du fond du cœur.
Victor Hugo.

Je prie un artiste, plein de cœur et de talent, M. Luthereau, de vous remettre cette lettre[1].


À François-Victor[2].


Braine-l’Alleud, 20 mai [1861].

Cher fils, je n’ai pas encore de lettre de toi. Je pense que tout va bien à Hauteville-House. Je sais par Mlle Loisel qu’Adèle est à l’île de Wight. Quant à toi, tu travailles comme un petit aigle. Shakespeare et moi, nous te bénissons, cher enfant.

Je suis ici près de Waterloo. Je n’aurai qu’un mot à en dire dans mon livre, mais je veux que ce mot soit juste. Je suis donc venu étudier cette aventure sur le terrain, et confronter la légende avec la réalité. Ce que je dirai sera vrai. Ce ne sera sans doute que mon vrai à moi. Mais chacun ne peut donner que la réalité qu’il a. Du reste, je ne sache rien de plus émouvant que la flânerie dans ce champ sinistre.

Je vois de plus en plus quelle distance il y a, quel abîme, entre Napoléon-le-grand et Napoléon-le-petit.

Charles est resté à Bruxelles, mais grâce au chemin de fer, Bruxelles et Waterloo se touchent. Je me cache ici, afin de pouvoir travailler tranquille ; Charles me garde le secret de ma retraite ; si l’on me savait à Waterloo, j’y serais assiégé de curieux, les plus bienveillants du monde, c’est vrai ; mais je ne pourrais rien faire.

Avant de quitter Bruxelles, j’ai envoyé à Rotterdam pour le prochain voyage du Windham trois nouvelles caisses très précieuses. Si le capitaine Alcock est encore à Guernesey au moment où tu recevras cette lettre , vois-le, je te prie, le plus tôt possible, et dis-lui qu’en arrivant à Rotterdam, il

  1. Clément-Janin. Victor Hugo en exil.
  2. Inédite.