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foi, de haute intelligence et de vertu. Vous savez bien penser et bien souffrir ; les deux plus grands dons que puisse recevoir l’âme humaine. Je vous félicite du fond du cœur.

Je ne regrette rien dans ce beau et bon livre qu’une page (218) ; vous étiez plus que personne digne d’apprécier cette grande génération de 1830 qui, en France, a complété la révolution des faits par la révolution des idées, qui a enfanté d’un seul jet le socialisme et le romantisme, c’est-à-dire le monde nouveau avec son verbe, et qui continue aujourd’hui son apostolat dans la résistance et son sacerdoce dans la proscription. Un jour cette idée de justice vous saisira, et vous glorifierez la jeunesse de 1830 en flétrissant la jeunesse de 1860[1].

À cette page près, je vous le répète, j’applaudis votre livre d’un bout à l’autre. Vous faites haïr le despotisme, vous aidez à l’écrasement de l’infâme ; il y a en vous un combattant intrépide et un penseur généreux. Je suis avec vous.

Victor Hugo[2].


À Paul Meurice[3].


19 juillet [1860].

Encore un boisseau de lettres que je vous envoie. Cinq du coup. (Michelet. Guérin. Mario Proth. Lebailly. Hetzel). Hetzel est-il à Paris ? Je le pense. Est-il encore hôtel Valois ? Vous l’avez vu sans doute, et vous aurez facilement son adresse. Soyez assez bon pour acheminer tous mes messages. Esto Colomba mea.

  1. Voici le passage qui a provoqué la protestation de Victor Hugo :
    « Les derniers jeunes gens qu’ait produits la France sont les Saint-Simoniens et les Fouriéristes. Quelques exceptions ne sauraient changer le caractère platement prosaïque de la jeunesse française actuelle. Escousse et Lebras se sont suicidés, parce qu’ils se sentaient jeunes dans une société de vieillards. Les autres se débattaient comme le poisson jeté sur un rivage boueux, jusqu’à ce qu’ils tombassent sur quelque barricade, ou se fussent laissé prendre à l’hameçon jésuitique.
    Mais comme les droits de l’âge sont imprescriptibles, la plus grande partie des jeunes gens, en France, passent actuellement leur temps d’une façon artistique, c’est-à-dire que, s’ils sont pauvres, ils boivent dans de petits cafés, avec de petites grisettes du quartier latin ; ou dans de grands cafés, avec de grandes lorettes, s’ils ont de l’argent. Ce n’est point Schiller, mais Paul de Kock qui est leur héros ; ils épuisent à la hâte et assez misérablement leurs orces, leur énergie, tout ce qu’ils ont de jeune, et ils sont prêts… à être commis marchands. La période artistique de la jeunesse française ne laisse au fond du cœur qu’une seule passion, l’amour de l’argent, et tous les autres intérêts de la vie lui sont sacrifiés ; ces hommes pratiques se moquent des questions sociales, et méprisent les femmes par suite des nombreuses victoires qu’ils ont remportées sur les filles soumises par métier. »
    Mémoires d’Herzen, tome Ier, traduction de Delaveau.
  2. Communiquée par l’Institut d’Histoire sociale. Amsterdam.
  3. Inédite.