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À Michelet.


Hauteville-House, 20 janvier 1860.

Je l’ai, et je le lis, et je le relis, ce livre profond, pénétrant et doux[1], où il y a des passages d’Iliade et des pages d’Évangile. Tel paragraphe sur la France est une strophe, et semble appeler tout l’avenir au combat contre le présent, et en même temps la grâce et la tendresse et l’émotion sont partout ; c’est une œuvre charmante et forte, et, quel prodige ! vous dites tout et vous ne froissez rien, la pudeur et la science peuvent vous lire en se touchant du front, et, à force d’élévation et de chasteté dans le vrai, vous faites accepter la lumière par l’intimité et le plein midi par le mystère. Vénus nue, cela n’est que beau ; mais Marie nue, c’est grand.

Or la vierge et la mère, c’est là toute la femme ; c’est ainsi que vous l’avez comprise, c’est ainsi que vous l’avez peinte, et vous avez mis à votre poëme un fond d’étoiles. Et en somme ce livre est poignant, car la femme est pathétique ; et l’on trouve dans votre œuvre toute cette Ève avec sa faiblesse, son génie et sa beauté.

Laissez dire « la cabale ». Un siècle où il y a des hommes comme vous n’est pas un temps de décadence, mais un temps de renaissance. Le dix-neuvième siècle est une aube ; vous êtes un de ses plus splendides et un de ses plus chauds rayons.


Votre ami
Victor Hugo[2].


À Thécel[3], de l’Indépendance belge.


Janvier 1860.

Je viens de lire une ravissante page, et fort belle et fort grave en même temps, écrite par vous sur les romans champêtres de George Sand[4]. Je vous applaudis de toutes mes forces et je vous remercie d’avoir glorifié George Sand, particulièrement en ce moment-ci.

  1. La Femme.
  2. Musée Carnavalet. — Jean-Marie Carré. Michelet et son temps. Revue de France, 15 février 1924.
  3. Thécel, pseudonyme d’Édouard Lemoine.
  4. L’Indépendance belge, 26 novembre 1859.