Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/300

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et noble dont vous prenez la défense des absents[1]. Il n’y avait point d’attaque sérieuse à la vérité, mais il y avait lieu peut-être à quelques paroles de bon goût, et personne plus que vous n’a dans l’esprit et dans le cœur ce qu’il faut pour les dire. J’ai été pour ma part d’autant plus touché de ce que vous avez fait là, qu’il y a entre vous et moi de profonds dissentiments littéraires et politiques. Ces dissentiments n’ont point altéré ma vieille amitié pour vous et je suis heureux que vous me donniez une occasion de vous le dire.

Recevez, je vous prie, mon cordial serrement de main.

Victor Hugo[2].


À Hetzel.


Dimanche 3 avril 1859.

Je commence par vous dire que votre lettre est charmante et votre colère la plus cordiale et la plus gracieuse du monde, et que moi, le tyran, je ferai ce que vous voudrez. Cela posé, précisons bien, et pesez les quelques points que voici :

1° En faisant toute diligence, je ne pourrai guère vous remettre le manuscrit avant trois semaines, fin avril. Quand commenceriez-vous d’imprimer ?

2° Tout de suite sans doute. Mais en faisant vous aussi toute diligence, ne vous faudrait-il pas au moins six semaines ? Plus les quinze jours d’appoint pour l’imprévu ? Nous voilà en juillet. Ceci est le plus tôt possible.

3° Vous convient-il de paraître en juillet ? Quant à moi, cela m’est absolument égal. Je vous ai déjà dit mon indifférence pour ce qu’on appelle bon et mauvais moment. Et je vous ai dit les faits qui m’ont amené à

  1. L. Vitet, directeur de l’Académie en 1859, reçut Victor de Laprade qui succédait à Alfred de Musset. Dans le tableau qu’il fit de la poésie à l’époque où Alfred de Musset se fit connaître, Victor de Laprade évoqua Lamartine et lui attribua, à lui seul, la direction du mouvement littéraire et de la poésie rénovée. L. Vitet, dans sa réponse, rectifia cette appréciation et, sans le nommer, chose impossible alors en pleine Académie, associe Victor Hugo à Lamartine : « ... Deux hommes résumaient à eux seuls les deux nouveautés principales dont alors on était épris, le charme indéfinissable du spiritualisme rêveur, l’attrait presque physique du rythme et du coloris. Vous avez mis tout à l’heure sur l’une de ces deux figures une auréole que pour ma part je serais loin de trouver trop brillante, n’était ce sentiment involontaire qui nous porte au secours des absents... C’étaient deux puissances égales, deux monarques, chacun avait sa cour, et, pendant près de dix années, unis contre l’ennemi commun, ils avaient régné l’un et l’autre, en possession paisible du public qu’ils se partageaient ». — Réponse au discours de réception de Victor de Laprade.
  2. Collection de Mme Aubry-Vitet.