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Mais la grande, la vraie, la seule académie, la langue française, celle-là est immortelle, celle-là est éternelle, et vous en êtes, et vous en étiez hier, et vous en serez demain. Vous y êtes installé entre Diderot et Beaumarchais ; la place est triomphante et nul ne vous y succédera.

L’absent vous remercie de prononcer son nom quelquefois.

Ex imo.
V. H[1].


À George Sand.


Hauteville-House, 28 mai 1858.

Vous arrive-t-il de penser quelquefois un peu à moi, madame ? Je me figure que cela doit être, tant de mon côté je pense à vous d’une pente douce et naturelle.

Je viens de lire les Beaux Messieurs de Bois-Doré, et, chaque fois que je lis quelque chose de vous, j’ai un épanouissement de joie ; je suis heureux de toute cette force, de toute cette grâce, de ce beau style, de ce noble esprit, de ces trouvailles charmantes à chaque minute, de sentir palpiter cette forte philosophie sous cette poésie caressante, et de sentir un si grand homme dans une femme. Laissez-moi vous dire que le fond de mon cœur est bien à vous.

Ma maison n’est encore qu’une masure ; de bons ouvriers guernesiais s’en sont emparés, et, me croyant riche, trouvent juste d’exploiter un peu « le grand monsieur français » et de faire durer le travail et le plaisir longtemps. Je me figure pourtant que ma maison sera un jour finie, et que peut-être alors, dans le temps et dans l’espace, vous aurez la fantaisie d’y venir et d’en sacrer un petit coin par votre présence et votre souvenir. Que dites-vous de ces illusions-là ?

Quelle bonne chose que les illusions ! Je les aime ; mais j’aime aussi et plus encore les réalités, et c’est une glorieuse réalité dans un siècle qu’une femme telle que vous. Écrivez, consolez, enseignez, continuez votre œuvre profonde ; vivez au milieu de nous autres hommes avec la sérénité clémente des grandes âmes insultées.

Je vous baise respectueusement la main, madame.

Victor Hugo[2].
  1. Clément-Janin. Victor Hugo en exil.
  2. Archives de Mme  Lauth-Sand.