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livre profond et tendre ! Je l’ai lu, et Dieu sait combien je le relirai de fois. Je suis tout charmé que ma pensée se rencontre sur tant de points avec la vôtre. Quelquefois la rencontre va jusqu’à l’expression même. Dans un poëme, pas encore publié et intitulé Dieu, je dis ceci :

« Les fourmilières sont des Babels ». Vous dites la même chose page xx. Nous trempons donc parfois notre plume au même encrier ; permettez-moi de m’en vanter.

Cet encrier qui nous est commun, c’est le grand encrier des ténèbres où il y a tant de lumière ; c’est l’inconnu, c’est l’infini, c’est l’absolu. Ce n’est pas dans l’exil, c’est dans la contemplation que vit ma pensée ; face à face avec l’insondable, je songe dans cette solitude-là ; et j’y sens votre voisinage.

Aussi me semble-t-il que je n’ai qu’à tendre la main pour rencontrer et pour serrer la vôtre.

Merci encore une fois de votre admirable livre.

Tuus.
Victor H[1].


À Jules Janin.


Hauteville-House, 16 mai [1858].

Je vous salue et je vous aime. Je vous envoie, poëte, en échange de votre livre, tous les rayons de mon ciel et tous les souffles de mon océan, et je ne sais vraiment pas si je ne suis pas encore en reste de souffles et de rayons. Oui, car ce sont vraiment là des pages inspirées et charmantes. Vous êtes toujours le magicien ; rien ne vous est impossible. Vous avez fait un livre éclatant sur un homme malheureux et un livre vaillant sur un homme lâche[2] .

Je n’aime pas Ovide, mais j’aime Jules Janin ; vous avez tout de sa poésie et il n’a rien de votre bravoure. En somme, vous honorez les lettres, et je vous remercie. S’il y a encore une académie, vous devez en être, vous en êtes, n’est-ce pas ? à moins qu’il n’y ait plus d’académie.

  1. Musée Carnavalet. — Jean-Marie Carré, Revue de France, 15 février 1924.
  2. Ovide ou le poëte eu exil.