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entretien xvi, page 263. Je vous pose à vous-même la question[1] ; et je suspends, jusqu’à ce que vous ayez répondu, mon sentiment personnel. Répondez-moi oui ou non. Les amitiés de trente-sept ans doivent durer ou finir par la franchise.

Votre ancien ami,
V. H.

Je sais, par Béranger, que vous connaissez le livre intitulé Châtiments[2].


À Paul Meurice[3].


Dimanche 17 mai [1857].

Oui, vous voir, ce sera une douce fête et une grande joie. Tout ce que je fais, prose et poésie, est à votre disposition comme tout ce que je suis, lutte et rêverie. Je suis un cœur qui pense à vous souvent et qui vous aime toujours. Ma maison continue de se bâtir à raison d’un clou par jour.

  1. « Je n’ai pas à m’expliquer sur des écrits qui sont la fonction même de ma vie et qui résument pour moi le devoir dans son acception la plus haute. Mais je dois vous poser une question ». Ces dernières lignes sont écrites en travers de la page et devaient sans doute précéder la lettre. Voici un extrait du passage incriminé (après avoir cité des vers de Barbier écrits en 1830, il les compare à « d’autres » dont il ne nomme pas l’auteur) :
    « De telles satires sont des coups de foudre et non des coups de lanières. Cela ne blesse pas, cela écrase.
    « Les autres sont un supplice personnel infligé, comme disent les satiristes, par le fouet de la satire à des hommes dont ce fouet déchire la peau. Eh bien ! quelle que soit la justice de ce supplice, nous ne pouvons ni approuver ni excuser ceux qui se donnent la mission de l’infliger au ridicule et même au crime de leur temps. On m’apportait, il y a peu d’années, en Italie, une de ces œuvres de colère légitime qui stigmatisent en vers terribles des noms d’hommes vivants et qui font saigner éternellement les coups de verge ou les coups de poignard de la plume. Comme j’exprimais par ma physionomie ma répulsion involontaire pour ces œuvres de colère, quelqu’un me dit : « À quoi pensez-vous ? Ne faut-il pas que justice soit faite de toutes ces iniquités ? Ne faut-il pas que toutes les mauvaises fortunes aient leur Némésis ? » — Oui, répondis-je, dans les sociétés d’hommes un exécuteur est nécessaire à la justice ; il faut un bourreau, peut-être, quoique je n’en sois pas parfaitement convaincu, mais il ne faut pas être le bourreau ».
    « Le satiriste sanglant est le bourreau des renommées ; il jette au charnier les noms dépecés de ses ennemis littéraires ou de ses ennemis politiques. Ce n’est pas le métier des immortels. Ce sont là de ces gloires dont on se repent ; il faut se les refuser, sinon par respect pour ses ennemis, du moins par respect pour soi-même ». — Lamartine, dans sa réponse, nia avoir voulu désigner Victor Hugo ; mais il ne donne pas le titre de « l’œuvre de colère » qui avait provoqué sa « répulsion » .
  2. Collection Louis Barthou.
  3. Inédite.