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Daniella est pour moi une profonde étude de tous les côtés du cœur. Cela est savant à force d’être féminin. Vous avez mis dans ce livre toutes ces délicatesses de femme qui, mêlées à votre puissance virile, composent votre forte et charmante originalité. Comme peintre, je défendrai contre vous toute la vieille ruine italienne, et en particulier cette éblouissante et formidable campagne de Rome que j’ai vue enfant, et qui m’est restée dans l’esprit et dans la prunelle comme si j’avais vu du soleil mêlé à de la mort. — Mais que vous importe ! vous allez devant vous, lumineuse et inspirée ; vous laissez s’envoler autour de vous les pages éclatantes, généreuses, cruelles, douces, tendres, hautaines, souriantes, consolantes, et vous savez bien qu’en somme tous les lecteurs sont pour vous, écrivain, comme toutes les âmes sont à vous, esprit.

Prenez donc la mienne avec les autres, madame.

Ma maison s’achève et vous espère tout doucement, et je baise humblement votre main.

Victor Hugo[1].


À Nefftzer[2].


Hauteville-House, 12 avril [1857].

Auguste Vacquerie m’a apporté votre lettre si noble et si bonne. Je l’ai lue avec joie. Il y a des cœurs que je veux toujours sentir amis ; le vôtre est du nombre. C’est que je vous ai vu dans l’épreuve, et vidit quod esset bonum ; c’est que je vous revois encore dans la lutte, bien entravée, hélas ! bien incomplète ; mais dans ce régime hideux de mutilation et de castration, vous avez l’art de rester entier ; et le secret de cet art-là, c’est tout simplement la conscience et la probité. Voilà pourquoi je vous estime, pourquoi je vous aime, pourquoi je m’appuie dans l’occasion sur votre ferme et vaillante amitié. L’avenir a besoin des hommes comme vous, il ne vous manquera pas plus que vous ne lui manquerez.

Je vous envoie toutes les affectueuses effusions de Hauteville-House, et je vous serre la main.

Victor Hugo.

Seriez-vous assez bon pour faire parvenir ce mot à M. Paul Féval ?[3]

  1. Archives de Mme Lauth-Sand.
  2. Inédite.
  3. Communiquée par la fille de Nefftzer.