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À Pierre Cauvet[1].


[4 décembre 1850.]

Espérez, mon pauvre poëte, le désespoir n’est pas d’un cœur qui croit ni d’un esprit qui pense ; et puis, d’ailleurs, qu’est-ce qui vous alarme ? Aucun de ceux qui vous connaissent, et qui savent tout ce qu’il y a de noble et d’élevé en vous, n’a pu vous croire coupable. Quant aux juges, je suis convaincu qu’il y aura une ordonnance de non-lieu. J’ai vu deux fois votre malheureuse femme, et tout ce qu’elle m’a dit me prouve que l’accusation tombera d’elle-même.

Hélas ! nous autres hommes de l’opposition, nous sommes de bien mauvaises recommandations à cette heure ; pourtant, je trouverai moyen de faire savoir à votre juge d’instruction tout ce que je pense et tout ce que je sais de vous.

Allons, courage ; relevez la tête, puisque vous êtes innocent, et relevez votre âme puisque vous êtes chrétien.

Je vous serre la main.

Victor Hugo.


1851.


À Émile de Girardin[2].


15 février 1851.

Comptez sur moi, monsieur. Comptez, dans la limite, malheureusement restreinte, de ce qui m’est possible, sur mon plus cordial concours. Ce que

  1. Pierre Cauvet, accusé à tort de vol au Mont-de-Piété où il était employé ; reconnu innocent, il publia dans L’Évènement, 10 mai 1851, la lettre de Victor Hugo.
  2. Émile de Girardin, après avoir fondé plusieurs journaux, révolutionna le journalisme, en 1836, par la création de La Presse, premier journal politique à bon marché, lésant les intérêts de ses confrères ; une polémique s’engagea entre La Presse et Le National dont le directeur, Armand Carrel, provoqua Girardin en duel. Carrel fut tué. — Girardin, élu député à la Législative, siégea à l’extrême gauche ; au coup d’État il fut, non exilé, mais éloigné ; il rentra bientôt à Paris où il reprit la direction de La Presse. En juin 1866 il fonda La Liberté. Après la chute de l’empire, il acheta Le Moniteur universel et Le Petit Journal. Il publia plusieurs études sur la presse et quelques comédies dont l’une, Le Supplice d’une femme, remaniée par Alexandre Dumas fils, entra au répertoire du Théâtre-Français. Les relations de Victor Hugo avec Émile de Girardin se nouèrent en 1833, à la fondation du Musée des familles ; elles continuèrent, cordiales, et, pendant l’exil de Victor Hugo, dévouées. Girardin n’hésitait pas à reproduire, aussi intégralement que le régime impérial le tolérait, les manifestes partis de Guernesey. Leur correspondance, en ce que nous en connaissons, se poursuivit jusqu’en 1876.