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Pendant que vous avez tous les ennuis de mon esprit, votre charmante femme a toutes les corvées de notre matière ; nos meubles, notre affreuse queue de ménage parisien, l’assomment et l’écrasent, et, dans tout cela, elle trouve moyen d’écrire à ma femme des lettres charmantes. Demandez-lui pardon de ma part, et mettez-moi à ses pieds. Je vous serre dans mes bras.

V.

Veillez bien sur les imprimeurs pour les apocalypses de la fin, car ils n’y comprennent pas grand’chose, et ils tâcheront peut-être de civiliser cela à grand renfort de corrections-fautes[1].


À Franz Stevens[2] à Bruxelles.


Hauteville-House, 10 avril 1856.

Votre nom, encore si jeune et promis à la renommée, a pour moi une sorte de rayonnement. La première fois qu’il m’est apparu, j’arrivais à Bruxelles, c’était le 13 ou 14 décembre 1851 ; on me remit des vers, mon nom était en tête, le vôtre au bas. Ces vers, vos premiers vers je crois, annonçaient déjà tout votre cœur. Vous vous dressiez sur le seuil de votre pays natal au devant de l’homme qui n’avait plus d’autre asile que cette grande patrie qu’on nomme l’exil, et vous offriez au proscrit cette hospitalité des poëtes plus sûre que l’hospitalité des rois. Ce début était beau. Il vous a porté bonheur. Depuis ce jour, votre talent a grandi, et aujourd’hui c’est mon tour de vous souhaiter la bienvenue au seuil de cette autre terre d’asile, l’art. Il y a cinq ans, vous avez noblement mêlé mon nom à des vers qui étaient des lauriers ; aujourd’hui, laissez-moi vous dire en prose que je vous aime.

Vous n’êtes pas un poëte belge, vous êtes un poëte français. Vous avez la grâce, l’éclat, la vie, la création dans le détail, la propriété d’expression, l’aisance, la liberté de tours et de mouvements, la fierté d’allure de l’écrivain français. La réunion de la Belgique à la France se fait ainsi par les écrivains et les poëtes. Vous êtes de ceux qui jettent généreusement entre les deux

  1. Correspondance entre Victor Hugo et Paul Meurice.
  2. Franz Stevens, poète belge, publia en 1856 ses Poésies nationales. Il fut nommé répétiteur des belles-lettres à l’École militaire belge le 25 octobre 1857, et mourut l’année suivante.