Page:Hugo - Œuvres complètes, Impr. nat., Correspondance, tome II.djvu/21

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
À Monsieur Henri de Lacretelle.


À l’Assemblée, 3 juin 1850.

Merci, cher poëte. Quelles belles et bonnes paroles vous m’envoyez ! La lutte est vive, les ennemis sont ardents, les haines hurlent à pleins poumons, mais que votre serrement de main m’est doux au milieu de cette mêlée ! En ce moment, pendant que je vous écris, j’entends aboyer la droite ; ma pensée cherche la vôtre à travers ce vacarme, et il me semble que je ressens la douce contagion de votre sérénité.

Que vous êtes heureux parmi vos fleurs et vos arbres, avec votre bon père qui vous parle, avec votre charmante femme qui vous sourit ! Vous avez la nature, la poésie, l’amour, le bonheur. Nous, nous n’avons sous les yeux que la rage dans le sénat et la honte dans les lois. Que cette minute que nous traversons est laide et petite ! Heureusement que le siècle est grand.

Faites-nous de beaux vers, envoyez-moi de nobles pages et aimez-moi.


À Charles Edmond[1].

Puisque la persécution, monsieur, vous oblige à quitter la France, vous trouverez, j’espère, sur une autre terre l’accueil hospitalier que méritent vos sentiments élevés et votre esprit sympathique et noble. Ceux qui vous connaîtront vous apprécieront bien vite, et je serai heureux pour ma part d’apprendre qu’on ne vous fait pas trop regretter la France.

Nous vous reverrons ici, monsieur, je n’en doute pas, vous connaîtrez la prospérité après l’adversité, mais vous reviendrez à votre vraie patrie qui est la France et qui ne vous repoussera pas toujours, soyez-en sûr. Je ne vous dis donc pas adieu, et je vous envoie, avec tous mes souhaits de bonheur, l’assurance de tous mes sentiments de cordialité.

Victor Hugo[2].
9 juin 1850.
  1. Inédite. — Charles Edmond, pseudonyme de Chojecky, sujet polonais ; homme de lettres, il collabora à des journaux d’opinion très avancée ; en 1849 il publia une brochure : Les révolutionnaires et les partis rétrogrades en 1848. Compromis dans un procès de presse, il se rendit en Égypte, puis en Suisse. Quand il revint en France, en 1850, un décret expulsa les Polonais. C’est alors qu’il reçut de Victor Hugo cette lettre. Il laissa plusieurs comédies et drames et quelques études historiques.
  2. Collection Jules Claretie.