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voix de l’enfance restées sous les grands arbres des Roches. L’ancien Charles et l’ancien Toto se sont mis à parler de « Louise » comme d’une mère pendant que, moi, j’en parlais comme d’un esprit. Tout ce beau passé est revenu rayonner au milieu de nous, et il m’a semblé un moment que Marine-Terrace était à quatre lieues de Paris et à deux années de 1830.

Je vous remercie de nous avoir donné, avec quelques lignes, ce charmant éblouissement.

Vous avez été visités tous, ce mois-ci, par le bonheur, par cette aube qu’on appelle le mariage ; vous avez revu, au milieu de vos deuils, de la joie et de jeunes fronts radieux. Soyez assez bonne pour féliciter de notre part les nouveaux mariés[1] qui vont recommencer et refaire une famille autour de vous. Nous aimons dans notre solitude cette fête qui environne nos anciens amis. Les exilés sont bons pour souffrir avec ceux qui souffrent et pour sourire à ceux qui sont heureux.

J’envie les Roches toujours vertes et où vous chantez toujours. Ici j’ai le vent, j’ai la mer ; mais tout ce grand murmure ne vaut pas pour mon oreille les doux chuchotements du passé.

Serrez pour moi, je vous prie, la main d’Édouard et la main de Janin. Ma femme et vos enfants vous embrassent. Je mets mon dévouement et mon respect à vos pieds.

V. H.[2]


À M. Coppens[3].


Marine-Terrace, 26 mars [1854].

Vous avez raison, cher et honorable co-proscrit ; on n’oublie pas les grandes luttes qu’on a traversées ensemble ; votre souvenir est mêlé pour moi à ces sombres et mémorables heures de décembre ; aussi quand il me vient de vous un serrement de main, j’en suis heureux.

Nous avons en effet la pensée d’aller quelqu’un de ces jours chercher le midi, si le midi ne nous est pas interdit. Proscrits et pestiférés que nous sommes, les gouvernements n’osent nous accueillir sans la permission du maître brigand des Tuileries ; l’horizon, ouvert à tous, est fermé pour nous, et M. Bonaparte en a les clefs à sa ceinture.

Si donc le Portugal ou l’Espagne n’ont pas trop peur de moi, je compte y aller regarder d’un peu moins loin le soleil. Dans tous les cas, ce ne

  1. M. et Mme  Jules Bapst. Marie Bertin, fille d’Armand Bertin, épousa Jules Bapst qui devint, après la mort d’Édouard Bertin, directeur du Journal des Débats.
  2. Lettres aux Bertin.
  3. Inédite.