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écrit à M. Pelvey[1] pour mes 618 francs ? Cela presse. Mes plus tendres amitiés. — Et faites-en part à tous.

Être violent, qu’importe ? Être vrai, tout est là[2].


À Alphonse Esquiros.


Marine-Terrace, 5 mars 1853.

Êtes-vous encore en Belgique ? Êtes-vous encore à Nivelles ? Je vous écris au hasard. Ma pensée va souvent vers vous. Vous devez le sentir. Votre lettre de fin décembre m’a touché le fond du cœur. Il m’a semblé que c’était un serrement de main de nos jeunes années, avec la tendresse qu’épure l’exil.

Vous êtes un des hommes que j’aime le plus et le mieux. Toutes les grandes sympathies de l’avenir et du progrès sont dans votre âme. Vous êtes poëte comme vous êtes orateur, avec l’enthousiasme du vrai dans l’esprit et le rayon de l’avenir dans les yeux. Grandissez, grandissez toujours ; soyez de plus en plus l’homme sympathique, tendre et ferme. Tous tant que nous sommes, intelligences militantes et consciences opprimées de ce siècle des luttes et des transformations, acceptons la grande loi qui pèse sur nous sans nous écraser ; tenons-nous prêts aux révolutions futures des faits et des choses ; soyons dès à présent l’homme-peuple et préparons-nous à être un jour l’homme-humanité.

Je vous écris tout cela au courant de mon esprit, à l’aventure, comme cela me vient, un peu comme la mer jette ses flots, ses algues et ses souffles.

Venez donc la voir, notre mer de Jersey, si vous allez ce printemps en Portugal. On m’assure, et je le crois, qu’en avril Jersey est un paradis. L’hiver y est triste et noir, mais l’été compense. Arrivez-nous, cher poëte, avec avril, avec l’aube, avec le printemps, avec le chœur des oiseaux.

J’ai passé mon hiver à faire des vers sombres. Cela sera intitulé : Châtiments. Vous devinez ce que c’est. Vous lirez cela quelqu’un de ces jours. Napoléon-le-Petit, étant en prose, n’est que la moitié de la tâche. Ce misérable n’était cuit que d’un côté, je le retourne sur le gril.

Ô cher compagnon de pensée et de combat, ne nous décourageons pas. Persistons, luttons, redoublons, persévérons dans la guerre à tout ce qui est le mal, la haine et la nuit[3].

  1. Pelvey, éditeur.
  2. Les Châtiments. Historique. Édition de l’Imprimerie Nationale. — Collection Jules Hetzel.
  3. Archives de la famille de Victor Hugo.