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À Moëssard[1].


[Avril 1849.]
Mon cher Moëssard,

La sympathie publique ne fera pas défaut à votre honorable vieillesse ; vous avez fait voir à ceux même que les préjugés aveuglaient, combien de vertus respectables peuvent s’allier à ce bel art du comédien. Permettez-moi d’inscrire mon nom parmi les noms de vos amis. Je vous envoie mon humble offrande ; ce n’est qu’une manière de vous serrer la main.

Victor Hugo.


À Charles de Lacretelle.


24 mai 1849.
Cher et vénérable ami,

Mon cœur répond à votre cœur. Ma réélection n’est rien, ce qui est une douleur pour la France, ce qui est une honte pour Mâcon, c’est la non réélection de Lamartine. Lamartine a fait des fautes grandes comme lui, et ce n’est pas peu dire, mais il a foulé aux pieds le drapeau rouge, il a aboli la peine de mort, il a été quinze jours l’homme lumineux d’une révolution sombre, aujourd’hui nous passons des hommes lumineux aux hommes flamboyants, de Lamartine à Ledru-Rollin[2], en attendant que nous allions de Ledru-Rollin à Blanqui !…[3]

  1. Moëssard, comédien, avait obtenu un prix de vertu à l’Académie française et, depuis, était tombé dans la misère. Jules Janin, dans son feuilleton théâtral (Journal des Débats, 23 avril 1849), parla de Moëssard et cita la lettre de Victor Hugo.
  2. Ledru-Rollin, le 24 février 1848, s’éleva contre la régence de la duchesse d’Orléans et demanda la constitution du gouvernement provisoire ; il en fut ministre de l’Intérieur. Élu député, orateur puissant et convaincu de la gauche, il eut une grande influence sur les décisions de son parti. Dans la tentative de coup d’État du 13 juin 1849, il fut gravement compromis et gagna la frontière. Il fut condamné par contumace à la déportation. Pendant l’exil et au retour de Victor Hugo en France, Ledru-Rollin fit cause commune avec le poëte dans toutes les manifestations républicaines, et un discours prononcé le 24 février 1878 pour l’inauguration du tombeau de Ledru-Rollin montra en quelle estime Victor Hugo tenait le grand orateur disparu.
  3. Auguste Blanqui, républicain fanatique, passa les trois quarts de sa vie en prison ; ses moments de liberté furent employés à organiser des mouvements révolutionnaires. Vers la fin de sa vie, il fonda le journal : Ni Dieu, ni maître. — Lettre citée par Léon Séché dans les Annales romantiques, 1905.