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Notre pauvre Paul F...[1] fait pas mal de platitudes dans l’Indépendance. Avant-hier il s’indignait contre les démagogues incorrigibles qui méconnaissent la « clémence » du prince président. Avertis-le, si tu le vois.

L’hospitalité belge devient de plus en plus maussade pour nos co-proscrits. La Belgique va même, dit-on, fermer prochainement ses portes. Tout cela est triste. Moi pourtant, on me respecte encore, mais je m’attends à être poliment prié un de ces matins d’aller voir en Angleterre si la Belgique y est. J’espère qu’elle n’y sera pas.

Chère bien-aimée, je t’envoie toutes mes plus profondes tendresses ainsi qu’à ma fille. Embrassez toutes les deux notre Victor pour moi.

Mme  David trouve ton buste fort beau. Dis-le à Clésinger[2]. — Je serre la main d’Auguste et de Paul Meurice, et je leur écrirai bientôt[3].


À Madame Victor Hugo.


Bruxelles, 30 avril.

Chère amie, avant-hier, comme Lamoricière[4] sortait de chez moi, Bixio y est entré. Il m’a remis ta lettre. Je voulais le retenir à dîner avec nous, mais il partait immédiatement pour Liège. Nous n’avons eu que le temps d’échanger quelques paroles.

Tu me grondes de la brièveté de mes lettres, et je te remercie de m’en gronder ; du reste, je ne mérite pas de reproche. J’écris sans cesse, plus je vais, plus les documents abondent, il est maintenant évident que cela fera deux volumes, le matin je fais le livre, à partir de midi je fais le dossier, recueillant les dépositions, écoutant les témoins, etc. Le soir je me remets au livre. Je n’ai pas même le temps de me promener une heure par jour. À peine, après le dîner, et encore fait-il très froid le soir. Tu vois que, lorsque je t’écris, j’ai plus de mérite à écrire deux pages que d’autres dix. Du reste, c’est mon bonheur de causer avec toi.

Mon Charles s’est mis au travail, et, j’espère, sérieusement. Il fera et nous

  1. Paul Foucher.
  2. Glésinger, peintre et sculpteur, connut de grands succès. Le buste de Mme  Victor Hugo faisait partie de la collection Lefèvre-Vacquerie.
  3. Bibliothèque Nationale.
  4. Le général Lamoricière, après s’être brillamment distingué en Algérie, fut appelé au ministère de la Guerre le 24 février 1848 ; mais le même jour la République était proclamée : royaliste, il refusa le pouvoir. Pourtant, élu à l’Assemblée constituante, il fut nommé ministre de la Guerre par Cavaignac, mais il donna sa démission le 20 décembre suivant dès que Louis Bonaparte fut président de la République. Vice-président de l’Assemblée législative, il fut arrêté le 2 décembre 1851, enfermé à Mazas, puis à Ham, enfin expulsé ; il fut rayé des cadres de l’armée, ayant refusé de prêter serment ; il revint en France après avoir combattu, en 1859, pour le gouvernement pontifical.